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La Sagesse vient de l’ombre – Dans les jardins de Sicile

J’ai dit récemment tout le bien que je pensais de Du volcan au chaos le journal sicilien d’Édith de la Héronnière où est célébrée l’extraordinaire exubérance de la nature, notamment à travers ses jardins. Avec La Sagesse vient de l’ombre, Dans les jardins de Sicile publié chez Klincksieck, Édith de la Héronnière nous conduit au cœur de ces mythiques jardins siciliens, ancrés dans une histoire lointaine au parfum oriental. Publics ou privés, parfois secrets, certains chantés par les poètes, ces jardins offrent, sur cette terre aride, une saisissante diversité de floraisons, de fragrances et d’essences exotiques. Plus qu’un inventaire botanique, c’est une nouvelle approche de la beauté tourmentée de la Sicile à laquelle nous invite l’auteur de Le labyrinthe de jardin ou l’art de l’égarement (Klincksieck, 2009). Cette « promenade parmi les tons voisins » n’élude pas la part d’ombre de l’île, comme l’explique Édith de la Héronnière dans l’entretien qu’elle nous a accordé fin juin:

  • D’où vous est venue cette passion pour la Sicile?

Il y a plus de vingt ans mon ami photographe Arturo Patten, préparait un grand travail sur le monde culturel sicilien : écrivains, peintres, poètes, etc. et il m’avait demandé d’écrire le texte de ce futur livre. Je ne connaissais pas la Sicile mais j’ai pu obtenir une bourse « Stendhal » du ministère des Affaires Étrangère qui m’a permis de partir deux mois à la découverte de la Sicile. Ce pays m’a immédiatement captivée, d’abord par ses paysages, sa géologie, mais aussi par la beauté de ses architectures. Ce premier voyage, en 1996, a été décisif car j’étais seule et j’ai fait des découvertes et des rencontres qui m’ont qui m’ont profondément marquée.
Cet ami est décédé en Sicile en 1999 et, depuis, je retourne chaque année dans l’île et chaque année je continue de découvrir cette contrée aux richesses inépuisables. Après un premier livre sur la Sicile (Du Volcan au chaos, éditions NOUS) j’ai pensé à une autre approche, une nouvelle manière, en quelque sorte, d’aborder ce pays, par ses jardins qui sont extraordinaires et contemporains de ses grands moments historiques. En 2005, au festival de littérature de Mantoue, j’ai eu la chance de faire la connaissance d’un photographe d’Agrigente, passionné par sa terre. Lui et sa femme, devenus de grands amis, m’ont accompagnée dans ce projet.

  • En quelques mots, qu’est-ce que ce pays représente pour vous?

Lorsque j’ai fait ce premier voyage, j’avais l’idée de découvrir la Sicile normande, parce que je suis moi-même normande par mon père, et j’aime beaucoup l’art roman. Or, en Sicile, les Normands qui l’ont envahie au XIe siècle ont construit des églises, des cathédrales, des basiliques romanes extraordinaires. Il y avait donc au départ cet attrait pour le monde médiéval, la découverte s’est élargie tout naturellement au monde grec, si important en Sicile, puis au baroque sicilien, d’une folle beauté surgie après les terribles tremblements de terre du XVIIe siècle: un art baroque absolument somptueux surtout dans le sud-est de l’île. Et de fil en aiguille, j’ai découvert la peinture, les marchés, toute la vie quotidienne. Ce qui me passionne, c’est cette grande synthèse culturelle qui s’est accomplie sur cette île, ce qui n’est pas le cas en Sardaigne ou en Corse. La Sicile se trouve sur le passage de grandes migrations: la Grèce y a fondé des colonies, puis les Arabes, puis les pèlerins de Jérusalem et les Croisés y ont fait halte au Moyen-Âge, un peu plus tard, les Espagnols. C’est une terre où se sont rencontrées et imbriquées de nombreuses cultures méditerranéennes. Et sur le plan humain, j’ai été et je reste profondément touchée par les Siciliens, par leur regard attentif, par leur côté très rude et très raffiné en même temps.

  • Vous employez pour qualifier les regards le mot d’intranquillité

Oui, parce que c’est une île dont le sol tremble, dont la principale montagne est un volcan. La terre elle-même est intranquille (pour reprendre le terme de Pessoa)… Et l’île a beaucoup souffert de la misère: par le passé, et encore récemment, le peuple sicilien a connu une misère dont nous n’avons pas idée. Aujourd’hui il est frappé par un chômage massif et il reçoit de plein fouet l’immigration africaine – il faut voir comment les Siciliens font preuve d’humanité et d’accueil, contrairement à nous autres Européens du nord et de l’est. Ce peuple est, au fond, assez différent des Italiens, beaucoup plus réservé, avec quatre millénaires de civilisation derrière lui. Je vois chez lui un raffinement, une civilité très frappante et très respectable. Là-bas, en un sens, j’ai l’impression de retrouver des racines profondément enfouies.

  • À plusieurs reprises vous dites que ce qui oriente, aimante vos voyages c’est « l’égarement », est-ce le cas à chaque voyage ou est-ce le privilège de la première fois?

Où que je me trouve, j’ai une tendance à me perdre, par méconnaissance, par myopie, par flottement ontologique, sans doute… Ce n’est pas le propre du voyage, mais je ressens assez facilement, quand je suis à l’étranger, l’impression d’être complètement perdue. Cependant, à partir de cet égarement, je trouve des ressources très intéressantes : il se passe quelque chose avec la perte des repères: les questions viennent, il y a comme un renouvellement. Ce n’est pas forcément négatif même s’il y a passagèrement du désarroi…

  • Parfois même de la panique.

Oui, il y a la peur. Un jour j’allais visiter un site près de Lentini, au sud-est de la Sicile. Il était trois heures de l’après-midi et tout ferme à cette heure-là à cause de la chaleur. Je partais innocemment sur la petite route pour voir des grottes des Sicules. Je marchais, tranquille au milieu des champs d’orangers, et brusquement une peur panique m’est tombée dessus. Je ne peux pas l’expliquer, sinon par un excès d’imagination mal placée. Brusquement, j’ai pris conscience d’être seule et vulnérable dans cette immense île et j’ai fait demi-tour en courant.

  • Est-ce qu’on peut faire un parallèle entre l’égarement tel que vous le trouvez en Sicile et l’égarement du labyrinthe dans le jardin?

On peut effectivement éprouver de la panique dans un labyrinthe. Il en existe de nombreux exemples. Le labyrinthe est souvent beaucoup plus haut que la personne qui s’y engage et celle-ci n’a plus alors de vue surplombante ni même de vue latérale, il y a perte de repères. Mais surtout une impression d’enfermement sans issue, et c’est peut-être cela que j’ai éprouvé sur ce chemin entre des murets… mais c’était absolument irrationnel.

  • À propos de regard, il y a le regard de ceux qui nous regardent et le regard que nous portons sur eux: « les yeux ne font pas le regard » dites-vous à un moment. Il y faut de l’attention et du temps, vous rappelez ce conseil d’Etienne Hajdu dans son atelier: « Prenez le temps de regarder ».

Étienne Hajdu était un grand sculpteur, un grand artiste. Lorsque je l’ai rencontré il parlait de sa sculpture devant le grand tympan roman de Vézelay, expliquant comment l’art roman bourguignon avait influencé son propre travail. La dernière fois que je suis allée le voir chez lui, il ne parlait déjà presque plus, mais il m’a emmenée dans son atelier. Il m’a installée devant ses extraordinaires hauts reliefs et il m’a dit: « prenez le temps, regardez. » J’ai pu passer un long moment à côté de lui, en silence – un moment très émouvant. On regarde, mais regarder attentivement c’est autre chose. L’attention, dont parle beaucoup Cristina Campo dans Les impardonnables, est un travail du regard doublé par un travail intérieur qui est peut-être un certain repos de l’esprit, une sorte de « repos-travail », nécessaire pour écarter les parasites et focaliser la concentration.

  • Il y a de belles pages chez Cristina Campo sur Simone Weil et la culture de l’attention dans la prière, dans l’éducation…

Oui, c’est plus que jamais essentiel. L’attention n’est jamais gagnée.

  • On a dit que notre nouveau président quand il serre des mains prend le temps de regarder la personne dans les yeux a contrario d’autres présidents qui effleuraient des mains avec un regard qui se déportait ailleurs…

Il a été à bonne école avec Paul Ricœur. La philosophie est une formation très importante, qui devrait être enseignée beaucoup plus tôt dans le parcours scolaire. La philosophie permet de poser des questions, c’est-à-dire ne pas considérer que tout est acquis. Poser des questions c’est le début de la pensée, cela ne veut pas nécessairement dire que l’on apporte des réponses, mais c’est déjà instaurer un mouvement dynamique par rapport à ce que l’on vit, et c’est une marque de vitalité de l’esprit.

  • Pour continuer avec le regard, il y a celui du photographe, celui d’Arturo Patten personnalité qui traverse en filigrane votre livre (qui lui est dédié), pourriez-vous nous en parler?

Il avait un regard extrêmement attentif. En trente ans d’amitié, il m’a toujours surprise par la qualité de son attention aux personnes, aux choses, aux moindres détails et ses photographies expriment cette attention. Il était en quête de l’être profond. Quand il photographiait quelqu’un, il passait des heures avec la personne et il la fatiguait jusqu’à ce que le masque tombe. C’était un homme très sensible, très attentif aux autres, d’une grande bonté. Il se passionnait pour l’autre. La photographie lui a permis d’exprimer cela à travers son œuvre. Arturo n’avait pas de temps à perdre. Il n’avait pas un rapport banal à la photographie, il ne cherchait pas à faire un « beau portrait », c’était une vraie démarche à la fois humaniste et spirituelle. Une démarche d’une authenticité très rare.

  • Il y a aussi le regard des peintres notamment celui de Nicolas de Staël dont vous décrivez combien la Sicile lui révéla la couleur…

Staël le dit dans sa correspondance (Le Bruit du temps, 2014), un document passionnant. Très nettement, son voyage en Sicile a brisé et ouvert quelque chose en lui, a été une révélation. Il y a toute une série de grands tableaux réalisés à son retour de Sicile qui sont extrêmement forts: il voit la mer noire… c’est très impressionnant, une œuvre visionnaire. Il a perçu la Sicile comme le creuset qu’elle est en réalité.

  • À la fin de Du volcan au chaos j’ai noté un passage assez mélancolique sur « la fin des beaux voyages ». Où sont les beaux voyages? Vous posez aussi la question de la lassitude de la beauté…

J’ai éprouvé cela dans le voyage que j’ai fait après la mort de mon ami. Certes j’ai vu beaucoup de belles choses, j’ai voyagé sans relâche à travers l’île et en un sens cette beauté m’a guérie, m’a sortie de la douleur. Par moments, la beauté sauve, Et elle a été pour moi une bouée. Parfois vous découvrez une fleur, mais une fleur d’une telle force, d’une telle délicatesse – je pense à des lys sur le rivage, des lys de mer qui sont au milieu des détritus et sont de purs chefs-d’œuvre de la nature! Mais est venu un moment où la beauté est restée à l’extérieur, où je ne l’ai plus supportée.
Il faut dire aussi que la Sicile est un pays d’une beauté stupéfiante et, par endroits, aussi d’une laideur terrible, très abîmée par des constructions sauvages. J’évoque cela à propos des jardins. Ses jardins sont extraordinaires, mais pour les atteindre il faut parfois traverser des zones affreusement enlaidies. C’est un pays de contrastes violents. Mais il est vrai que la beauté peut être écrasante dans des moments de fatigue ou de peine. Ce sont des moments où l’on éprouve le besoin de rentrer en soi-même. Il faut être fort pour confronter la beauté.

  • J’avais une question sur le voyage: faut-il voyager seul ou en compagnie?

J’ai souvent voyagé seule et il est sûr que seul(e) on est très attentif, hypersensible et hyper réceptif. En compagnie, c’est magnifique pour l’échange, mais c’est autre chose. Depuis vingt ans, chaque année, j’emmène des neveux ou des amis en Sicile parce que j’ai le désir de partager ce que j’ai découvert seule. Mais ce sont des voyages très différents: il y a le regard de l’autre, sa fraîcheur, son enthousiasme ou sa réticence, ses objections qui peuvent faire retomber mon enthousiasme ou apporter un point de vue neuf. J’aime bien les deux et je n’ai pas d’a priori. Les deux formes de voyages sont complémentaires, me semble-t-il, à condition de commencer par le voyage solitaire.

  • Vous dites des choses très dures concernant le tourisme, la grégarité n’est pas votre tasse de thé si je puis dire. Est-ce que vous vous reconnaissez une parenté avec Pascal Quignard qui, face au « carnaval électronique » ne cesse de nous exhorter à disparaître, à nous éclipser, à devenir invisible?

J’aime beaucoup les livres de Pascal Quignard. Voilà un auteur d’une rigueur absolue dans sa démarche d’écrivain, son œuvre est d’une puissance et d’une singularité rares. Moi-même je pratique peu les réseaux sociaux – voire pas du tout, et je ne suis ni sur Facebook, ni sur Twitter. Mais mon époque me passionne aussi, même si elle m’inquiète dans ses excès. Quand je vois ce que cela permet de faire à de beaucoup plus jeunes que moi, je me dis que c’est un autre monde qui arrive et qui a ses vertus. Personnellement, j’aime la discrétion, comme Quignard. Ce que je fais d’un peu bon ne peut être fait qu’en secret, dans la solitude et le silence.
Quant au tourisme, il me semble qu’aujourd’hui c’est un immense problème pour les régions concernées. Même si l’apport financier est important, les dégâts écologiques, ethnologiques, humains et je dirais aussi spirituels sont incalculables. Des villes comme Venise ou Barcelone s’en alarment.

  • Je vois dans cette discrétion quelque chose qui a à voir avec l’élégance et d’une certaine manière avec la sprezzatura dont vous avez souvent parlé…

Je ne crois pas en être là. Mais c’est aussi une question de nature. Il me semble que l’écrivain n’a pas à jouer le rôle de maître à penser, ni d’animateur de médias. L’écriture est quelque chose de très particulier, de très solitaire, une démarche intense et profonde qui n’a rien à voir avec la vie publique, même si de nos jours un auteur y est contraint dans une certaine mesure dont il est libre, au fond, de déterminer l’importance. J’avoue avoir un peu de mal avec tout cela.

  • Le retrait suppose un lieu où se tenir à l’abri et hors d’atteinte. Quel est le vôtre?

Ici, à Paris. Pour travailler je suis parfaitement bien à Paris. Je vais peut-être vous choquer, mais je n’aime pas Paris. Donc le dehors ne m’attire pas du tout. Alors qu’en Bourgogne, où j’ai une maison, je suis attirée par l’extérieur et j’ai plus de mal à travailler. Ici, c’est comme ma grotte, j’y suis au calme et à l’abri…

  • Un peu à l’ombre aussi comme dans les jardins de Sicile, votre dernier livre que vous avez intitulé La sagesse vient de l’ombre. D’où vient l’ombre? De l’arbre?

La Sicile est une terre d’ombre du fait de l’écrasante chaleur. L’ombre des arbres y est bienfaisante. Elle est douce du fait des bruissements du feuillage et des belles figures qu’elle dessine au sol. En Sicile les arbres sont des géants sous lesquels on trouve protection, notamment ces ficus magnolioïdes immenses qui sont plus que des arbres, des cathédrales… Il y a des arbres très étranges comme le dragonnier qui a des sortes de mains qui se tendent vers le ciel… Il y a le chorisia speciosa dont le tronc bombé est couvert de grosses épines, ce qui lui vaut le nom de « désespoir du singe »; il donne par ailleurs des fleurs qui sont de purs chefs-d’œuvre, des fleurs d’une grande délicatesse contrastant avec la rudesse du tronc. Tout cela m’a beaucoup frappée en Sicile. Au fond cette beauté des jardins m’a incitée à la curiosité: je voulais en savoir plus, d’où mon apprentissage de la botanique de l’île. Il est vrai que c’est un pays très austère et, dans cette terre sèche qui n’a pas d’eau pendant quasiment six mois de l’année, on découvre des jardins invraisemblables, d’une exubérance folle – folie très sicilienne que l’on retrouve aussi dans l’architecture, baroque en particulier, et aussi dans l’âme sicilienne qui n’a rien de bourgeois.

  • L’ombre vient-elle seulement des arbres?

L’ombre va avec le secret. La Sicile est un pays de silence, où la communication muette par gestes est très élaborée. C’est un pays qui a aussi des ombres inquiétantes, métaphysiques et sociales. C’est un peuple qui n’a pas eu de classe moyenne, pas de moyen terme: une aristocratie très riche, très cultivée, a côtoyé de tous temps un peuple misérable. Il faut lire le livre de Carlo Levi Les mots sont des pierres où il décrit la Sicile des années 50 en proie à une misère noire. Les Siciliens ont connu une immigration massive vers le nord de la péninsule et vers l’Amérique. Je pense que c’est pour cette raison que ce peuple fait preuve d’humanité avec ceux qui arrivent d’Afrique ou du Moyen Orient, car il sait ce que c’est que de perdre sa maison, sa terre, ses racines. L’excès dans la pauvreté a son répondant dans l’extravagance des aristocrates (certains d’une folie totale) et Dumas qui avait visité le pays au XIXe, disait que, pour eux « il n’y a rien d’impossible ». Ce trait me plaît beaucoup. Mais il ne faut pas oublier non plus l’aspect sombre de la mafia, sa violence… Ce côté menaçant est très présent, et jette une grande ombre sur l’île.

  • Vous parlez aussi chez les Siciliens de l’existence d’une forme de fatalité.

Fatalité ou souplesse mentale, je ne sais pas. Le fait de vivre sous la menace permanente de la terre (éruptions et séismes) doit y être pour quelque chose. Il y a aussi les peuplements d’origines distinctes que l’on reconnaît dans les visages et les silhouettes: les Arabes, bruns et basanés, les Byzantins d’origine grecque et les Normands (il y a beaucoup de grands blonds aux yeux bleus) et si ces populations se sont mélangées au fil des siècles, elles ont probablement secrété aussi une mentalité singulière. Cette île est très passionnante, entre autres, pour cette grande synthèse culturelle et humaine. Mais je ne me risquerais pas à une étude psychologique des siciliens. De grands auteurs, comme Pirandello ou Sciascia, l’ont fait à leur manière à travers leurs livres.  Concernant la Sicile, j’ai pleinement conscience de ne rien en savoir, de ne rien y comprendre. C’est un monde tellement complexe. Je n’en ai pas les clés. Malgré la fascination, le mystère reste entier et, chez moi, il incite au respect et à ne pas trop en tirer d’affirmations définitives.

  • Y aura-t-il d’autres voyages?

Oui, si Dieu me prête vie! J’aimerais faire des voyages, toujours liés à la littérature: visiter le Danemark de Karen Blixen, aller dans le Dorset en Angleterre, là où ont vécu les Powys. Et j’aimerais beaucoup aller au Japon à cause de Lafcadio Hearn. Aller sur les traces d’écrivains, en me disant que ces traces ouvrent sur d’autres horizons. La Grèce aussi et surtout, que je ne connais presque pas, bien qu’ayant étudié sa philosophie qui est à la racine de notre culture.

  • Vos coups de foudre en littérature actuellement?

Je reste fidèle à Marc Graciano dont les trois premiers livres, parus chez Corti, m’ont sidérée et dont je compte bien suivre l’œuvre à venir. J’ai lu récemment Que les noix brunissent de Llewelyn Powys, une suite d’essais sur la nature, qui sont de purs joyaux. Un auteur que j’aime depuis ses premiers livres est le grand romancier américain Russell Banks, qui vient de publier les récits de ses voyages: Voyager, un très beau livre dans lequel il revient sur le parcours de sa vie, une sorte d’autobiographie en forme de méditation et de bilan. Et je suis en train de terminer la correspondance entre Henri Thomas et Georges Perros: deux esprits très différents qui échangent avec une sorte de hauteur, de pudeur, d’humour, d’autodérision même par rapport à la maladie. Et enfin Quignard, dont nous parlions, son dernier livre, Dans ce jardin qu’on aimait, est une évocation poétique de la vie d’un pasteur et compositeur américain du XIX° siècle passionné par les chants des oiseaux: un livre que je garderai précieusement dans ma bibliothèque.

  • Merci à vous.

Illustration: Éditions Klincksieck.

  1. Pascale BM says:

    Ces deux livres sont un cadeau du ciel, je veux dire des dieux, de ceux qui ont donné la Sicile à la mer, en des temps si lointains qu’on doit s’étonner de cette complicité et proximité irréfragables qui saisissent ceux qui, aujourd’hui, s’égarent et s’écartent dans les petits chemins et les allées ignorées des foules-en-vacances. Ni le volcan, ni les tremblements de sa terre, ni les invasions n’ont eu raison de l’île… seront-ce les hordes de touristes qui piétinent le sol où marchèrent Empédocle, Gorgias, Pirandello, Sciascia, et cet étonnant, génial et intrigant physicien, Majorana, né en Sicile au début du XXème siècle et disparu sans laisser de trace en 1938…. (autre histoire fascinante à mettre au crédit de la Trinacria, douce et redoutable).

  2. Oui, sans doute faudrait-il intégrer le tourisme comme cause de ravage de notre planète au même titre que le réchauffement climatique et autres désastreuses actions de l’homme sur son biotope.
    Concernant Majorana, l’enquête d’Etienne Klein sur cet étrange destin « En cherchant Majorana » (Folio) est tout à fait passionnante.
    🙂

  3. Pascale Busson-Martello says:

    Passion et tendresse animent E.Klein quand il parle de Majorana, en effet. Il a fait aussi un documentaire très touchant, en retournant sur les lieux de sa jeunesse, retrouvant même un neveu -aujourd’hui assez âgé- qui détient encore les feuilles manuscrites où Ettore avait « gribouillé » quelques équations et réflexions.
    la Sicile est le contraire d’une peau de chagrin, elle se déploie d’autant plus qu’on la parcourt- aussi les deux livres d’Edith de la Héronnière -lus l’un après l’autre alors qu’ils ne sont pas contemporains, mais c’est la vertu de tout kairos, de faire se rencontrer tous les improbables selon le destin- sont de ceux dont on ne sait pas qu’ils vous sont indispensables tant qu’on ne sait pas qu’ils existent.

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Patrick Corneau