J’ai regardé avec beaucoup de plaisir les deux premiers épisodes de la saison 2 de Humans, la série anglaise diffusée sur HD1. Celle-ci reprend le modèle suédois Real Humans (2012) avec un style plus nerveux et une intrigue chorale tout aussi riche par les questionnements existentiels qui agitent ses personnages humains ou robots. L’intrigue est d’une simplicité biblique, si j’ose dire: grâce à une modification de leur code source, les synthèts, robots humanoïdes inventés pour servir les humains, peuvent développer un libre arbitre, ressentir et sentir. Cette mise à jour de leur système « libère » une poignée d’entre eux aux quatre coins du monde. Ceux-ci vont faire la difficile conquête de leur « humanité » en choisissant la voie du droit et de la morale.
Divertissante en surface, cette série* soulève sans prétention de profondes questions philosophiques et métaphysiques. Qu’est-ce qui définit notre humanité? Faut-il se connaître soi-même pour que l’autre nous connaisse? Comment concilier l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle au sein d’une même société?
Interpellé par le sous-questionnement de cette habile thriller existentiel, m’est venu alors l’hypothèse suivante. La conscience ne peut se connaître elle-même car le sujet ne peut être à la fois et en même temps sujet et objet. Ne serait-ce pas avec la création de robots « à l’image de lui-même » (comme Dieu créa l’homme à son image) que l’homme se connaîtra, appréhendera ce qu’est « en vérité » la condition humaine? Ne faut-il pas à l’homme cette médiation, ce détour par une extériorité créatrice, faite de main d’homme (cheiropoietos), pour être confronté à ce qui fonde sa condition et, par là, accéder au fameux « connais-toi toi-même » (gnothi seauton) socratique qui hante toute l’histoire de la philosophie?

La technique** (et son pragmatisme nourri de science) détiendrait alors les clés de problèmes que la philosophie s’est efforcée (en vain?) d’éclaircir…

* Certes moins décérébrante que Game of Thrones
** D’où la pertinence de l’affirmation visionnaire de Glenn Gould: « Je crois que la technologie est une entreprise charitable. »

Illustration: magazine Première.

  1. Pascale BM says:

    Je n’entre pas du tout dans votre dernière hypothèse… La technique, et même plus sûrement les techniques, ne résolvent que des difficultés elles-mêmes techniques ou pratiques, pas des problèmes ni des questionnements humains, c’est-à-dire posés par un être en capacité non point d’une intelligence mécanique serait-elle surpuissante, mais d’une pensée infinie (pour le meilleur et pour le pire), ce qui met entre elles une différence de nature et non de degré…
    Les « séries » me quittent avant que je ne les attache. Pas du tout entrée dans ces productions, dont je veux bien croire que certaines méritent leur succès. Mais nous ne nous sommes jamais rencontrées elles et moi. Pour celle dont vous parlez au début, je pense à une page de Descartes, qui se demande (et répond) ce qui distinguerait un automate en tous points (expression à prendre au sens fort) semblable à un homme, alors qu’un en tous points semblable à un singe il ne pourrait livrer cette distinction. Reproduction du même au même, un assemblage de « ressorts », serait-il très complexe, n’est qu’un assemblage de ressorts. J’entends que la série évoquée propose une fiction métaphysique -Descartes le fait bien par ailleurs- mais celle-ci ne repose-t-elle pas sur une fiction tout court : la possibilité du passage du non-humain à l’humain…. Suis un peu pénible sur ces coups-là, je le sais. Ma pratique du petit écran est très… inactuelle! Bien à vous.

    1. Je savais que je provoquerai l’ire des philosophes… Votre réponse philosophiquement fort bien argumentée ne disqualifie aucunement les réponses qu’apportent, qu’apporteront la robotique et le substrat de sciences neuro-cognitives, réseaux neuronaux, etc. qui sous-tendent ses réalisations et dont je n’ai pas la naïveté de croire qu’elles concurrenceront l’humain. Mais comme projet de modélisation de certaines capacités humaines, elles ont une valeur heuristique non triviale. En tous cas, elles sont plus convaincantes que tous les modèles d’animaux-machines proposés par la vulgate philosophique (Descartes, Condillac, La Mettrie…). Sachez que mon scientisme est très très modéré! 😉

  2. Pascale BM says:

    Non point l’ire, mais la réaction….
    J’ajouterai bien que toute robotique, y compris et surtout les plus élaborées, autrement il n’y a guère d’intérêt- ne saurait au mieux que reproduire, voire envisager quelque chose pour quoi il a été prévu càd pensé qu’elles l’envisagent ; que la modélisation va toujours dans le même sens, de l’homme à ce qu’il modélise, et non l’inverse. Et que quelles que soient les performances de ce que l’homme invente, y compris au-delà de ses propres capacités -l’ordinateur dont je me sers a des capacités qui défient l’entendement de chacun- il s’agit bien de résultats de recherches et raisonnements humains -sinon quels autres.? Et je reste profondément étonnée -au sens fort- perpétuellement interdite (idem) de faire ce constat. Peut-être suis-je dans un étonnement hors d’âge, dans une naïveté qui n’a plus cours… mais tout ce qui existe du fait de l’homme et qui sans sa présence sur cette planète n’aurait jamais existé [et quand on tente l’inventaire on est vite pris de vertige, j’aime bien commencer par le plus simple, un bouton, un lacet… et remonter tout ce qui a rendu possible cet objet, absolument, sans oublier toutes les conditions de son apparition sur mon manteau, la banque qui me délivre une carte de paiement, le magasin, son chauffage, ses étagères, la commerçante, ses études, la construction de son école, les conditions politiques et historiques… submersion garantie, impossible très vite de maîtriser le flot], cette fois entre le bouton, l’ordinateur, le microscope atomique, la différence est de degré, elle n’est pas de nature… Mais, nouvel étonnement, ce sont bien quelques milliards de neurones et leurs synapses qui ont permis cela… Ah! intranquillité quand tu nous tiens! (je ne sais ni où trouver, ni comment insérer les petits bonhommes jaunes qui allègent tout cela….).
    Un autre petit bonhomme jaune qui cligne de l’œil : en convoquant le grand Descartes, je l’ai bien cherchée votre avant-dernière phrase! mais impossible de reprendre… je ne serais même plus « pénible » , carrément saoûlante! (le correcteur d’orthographe veut à tout prix ôter le « a » : 1) je ne lui ai rien demandé 2) je maintiens. C’est quand même pas un objet qui va me soumettre… et faire de moi son… objet! (pluie de petits bonhommes jaunes!)

    1. Oui, on doit être, rester émerveillé autant par un simple bouton et sa boutonnière, une hélice (pensée au malheureux Josef Ressel!) ou ce clavier qui devine et apprend nos mots les plus courants pour les faire courir (parfois) plus vite que notre pensée (au risque de télescopages poétiques). Comme vous le dites avec justesse, entre ces merveilles « la différence est de degré, elle n’est pas de nature » Ce qui induit que votre « scientisme » est davantage un hommage rendu à la « mètis », et témoigne d’une probité que n’ont pas de nombreux philosophes vitrifiés dans le raidissement technophobe du vieux Platon.

  3. Pascale BM says:

    tsstsss Platon? un vieux technophobe vitrifié et raidi????
    Bon, je passe pour cette fois-ci parce que c’est dimanche soir! (et là, j’ajoute un petit homme jaune…)

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Patrick Corneau