Patrick Corneau

Patrick aime assezVoilà un livre absolument délicieux qui ne se dévore pas avec avidité mais se déguste comme un vieux whisky. Nous sommes sur les côtes du Dorset dans les années 30, Llewelyn Powys (1884-1939), un des membres de cette grande fratrie d’artistes*, nous propose une suite de cours essais, ou plutôt de promenades contemplatives pour nous faire découvrir la flore et la faune (surtout des oiseaux) de cette région du sud-ouest de l’Angleterre qu’est le comté de Somerset. Ce qui charme dans ces textes excellemment traduits par Patrick Reumaux** est l’alliance savamment harmonieuse d’une attention extrême au réel (un souci de précision de l’ordre de l’observation ornithologique) avec un regard bellement poétique sur la nature dans la prodigalité infinie de ses formes. On pense à Rousseau et ses rêveries, mais celles-ci étaient davantage tournées vers l’intériorité et la sensation, plus vives que le sentiment de la nature reléguée à n’être qu’un décor. Ici l’écriture est délicate et juste, évocatrice (avec des pointes d’onirisme et de poésie unanimiste), au point de nous transporter jusqu’à entendre le ressac des vagues et les cris des goélands, les murmures de la terre, de rendre prégnant le silence de la campagne. Nous entendons toute une musique apte à nous extraire de notre condition actuelle pour nous faire remémorer le long travail de la planète, sa calme pérennité sous l’inexorable succession des périodes, des saisons, des transmutations de l’énergie créatrice qui se poursuivront longtemps après que nous serons devenus poussière. Alors la conscience d’être en vie, de pouvoir en jouir – et le privilège extraordinaire de cette même conscience – nous apparaissent comme la merveille des merveilles. « C’est là, comme dit Llewelyn, un enseignement véritable, et le Tao de nos âmes princières et illuminées. »
La discrète dimension métaphysique de ces pages que l’on feuillette comme celles d’un herbier, contribue à l’émerveillement presque extatique de la lecture comme le souligne le frère de Llewelyn, John Cooper Powys : « Il y a dans les essais de Llewelyn un courant souterrain constant semblable à un bruit d’ailes dans les airs, au bris des vagues dans l’eau, aux craquements d’un feu sur la lande, aux sifflements des herbes que l’on brûle dans le jardin, au son des cloches dans les beffrois (…) Le style de Llewelyn est celui de nos pensées quand un long rêve diurne nous enveloppe soudain merveilleusement, sur une lande, une terrasse, une balustrade, un coin de mer familier depuis l’enfance. »

Comme « lecture de vacances*** ou livre de l’été », on ne saurait mieux conseiller. Et peut-être, chemin faisant, vous embarquerez-vous pour le Dorset, le livre à la main ?
* Trois frères écrivains : John Cooper, Theodore Francis et Llewelyn, fils du révérend Charles Francis Powys (1843-1923) qui engendra onze enfants.
** Rendons grâce à Patrick Reumaux, écrivain, traducteur, mais aussi mycologue éminent, d’avoir fait ce choix de textes de Llewelyn Powys, principalement tirés de son recueil posthume Somerset and Dorset Essays, paru en 1957, sans doute son livre le plus connu. Une résurrection, pour un écrivain largement minoré au profit de son aîné, John Cooper (1872-1963). Notons aussi les très beaux dessins du regretté Bernard Duhem (lui aussi brillant mycologue !) dont c’est ici le dernier travail d’illustrateur.
*** « La vie est une demi-journée de vacances, et on doit profiter de chaque seconde inscrite sur le cadran de l’horloge de la cuisine, à la maison » écrit Llewelyn dans le grave et âprement lucide dernier texte du recueil (« Maintenant que les dieux sont morts ») qui, à lui seul, vaut l’acquisition de ce livre.

Que les noix brunissent de Llewelyn Powys, traduit de l’anglais et préfacé par Patrick Reumaux, illustrations de Bernard Duhem, coll. De natura rerum, Éditions Klincksieck,  2017. LRSP (livre reçu en service de presse) 

Illustrations : Dessin de Bernard Duhem / Éditions Klincksieck.

  1. Pascale Busson-Martello says:

    L’infinité parfois favorable de l’univers du net, me fait accoster en vos rivages. Exactement parlant, mon chemin est passé par les Jardins de Sicile d’Edith de la Héronnière, mais pas en ligne droite, cela va de soi….
    ni droite, ni courbe, la ligne, nous sommes bien dans l’esprit trinacrien. Que j’aime au -delà de tout, et sûrement depuis plus de 25 siècles! Je viens de lire les lignes (toujours les « sauts » et « gambades » dudit univers infini) que vous avez consacrées en son temps à Edith de la Héronnière, et en suis toute chamboulée. Je rencontre là une complice en philosophie, en écriture et en Sicile, tout cela confondu, car je serais bien en peine de dire -et donc de savoir- ce qui m’est le plus important.
    Est-il un moyen de joindre cette femme admirable, le savez-vous?
    et moi, je suis un peu ici, http://pascalebussonmartello.over-blog.com/ (mais très oubliable)
    Vous me voyez désolée d’avoir commis un « hors sujet », et donc une faute de goût à l’égard des Noix qui brunissent, vers lesquelles, c’est certain, je vais revenir.

  2. V. s. says:

    Très heureux de lire ton billet sur cet auteur. Henry Miller parle de cette fratrie dans Les livres de ma vie ( c’est vrai, beaucoup plus de John Cowper avec qui il a eu une correspondance ). Et le sujet, les belles illustrations et le traducteur ( qui a traduit les poèmes de Dickinson ) font que ce livre m’intéresse. A bientôt.

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Patrick Corneau