Depuis qu’il est entré dans les galeries puis les musées, le street-art a acquis une reconnaissance officielle qui a un peu émoussé la verdeur, la vigueur voire l’énergie subversive de ses manifestations. Un petit livre, joliment mis en page, nous invite à (re)visiter les sources de cet art de rue avec un florilège de tags, de graffitis aussi drôles que mordants: Graffitivre, des bombe, des bières, des murs paru chez Tana éditions. Le titre (mot-valise moyennement probant) autant que le graffiti de couverture (« On veut des chips ou on brûle tout ») donnent le ton déjanté de ces inscriptions dont l’inspiration est moins « l’alcool » qu’un sens très français de la protestation exprimé ici par des anonymes impertinents et maîtres dans l’art du non-sense. Cet art pariétal est fort ancien comme le montre la citation donnée en exergue qui nous vient de Pompéi, 1er siècle: Admiror ô paries te non cecidisse ruinis qui tot scriptorum taedia sustineas (« Mur, je suis surpris que tu ne te sois pas effondré sous le poids des bêtises de tous ceux qui ont écrit sur toi »). Bêtises, pas toujours! Car ce qui surprend en feuilletant ces pages est l’existence d’une tradition contestataire un peu anarchiste, un peu situationniste (avec davantage d’humour que le pape Debord), un peu ubuesque (tendance Almanach Vermot parfois) qui porte, en sous-main, un regard critique radical sur notre société.
Oui, il suffit d’habiter un quartier à l’est de Paris pour voir, épisodiquement selon le calendrier politique ou électoral, monter des murs la rumeur des mécontentements, les murmures du mal-être social, ou des récriminations idiosyncrasiquement parisiennes… Ne vous attendez pas à contempler dans Graffitivre des performances photographiques, les clichés sont parfois techniquement médiocres, saisis au vol, souvent la nuit, ils proviennent de téléphones portables. Phénomène intemporel mais d’existence précaire, fugace – ces fleurs de rhétorique populaire et d’humour décalé surgissent l’espace d’une nuit et disparaîtront sous les karchers des « services d’enlèvement d’affichage sauvage » de la ville quelques jours plus tard (d’où une rotation des inscriptions assez accélérée).
Mais écoutons Guillaume Normand et Grégoire Vilanova les auteurs à l’initiative de ce projet graffitique: « C’est en 2010, dans le quartier de Belleville à Paris, qu’ils nous sont apparus pour la première fois. D’une initiale collecte des « tags chelous », le recueil de graffitivres a pris de l’ampleur après la création du site internet graffitivre.tumblr.com ouvert aux contributions extérieures, mais aussi avec la découverte de l’intemporalité de ce phénomène mural. La collection présentée ici est issue de ces trois sources : photos de graffitis acquises dans la rue, propositions des copains, d’internautes, recherches plus vastes sur des sites internet ou en bibliothèque. Notre objet a aussi évolué depuis son commencement, devenant plus précis à mesure que les relevés des uns et des autres sur le graffiti contemporain affirmaient la singularité d’un graffitivre. Cette collection a toujours été photographique aussi, d’où des regrets pour quelques perles condamnées à l’oubli par manque de « format visuel ». La situation des graffitivres anciens est pire encore dans ce sens, la majorité des sources n’en faisant souvent que la retranscription, plus particulièrement pour le sous-genre des obscena verba – les mots indécents. Là est l’enchantement: les temps passés regorgent de « graffitis rigolos » de la même race reconnaissable que nos gribouillis bellevillois ou marseillais. Poésie ésotérique des toilettes publiques, vulgarité en lettres rouges sur les murs d’école, calembour d’esprit ou encore échec grammatical de « rageux », les élans scripturaux constituent autant de ponts avec les sociétés qui nous ont précédées. »
Laissons la synthèse finale à Salvador Dali maître es-loufoquerie: « Le graffiti doit rester un mot merdeux, une insulte aux constipés de l’esprit. »
Et surtout redisons que ce livre est vraiment, mais vraiment hilarant!

Graffitivre, des bombe, des bières, des murs, Tana éditions, 2017 (9,95€). LRSP (livre reçu en service de presse)

Illustrations: Tana éditions.

  1. Serge says:

    Le dernier qui m’a bien fait marrer était inscrit à côté du distributeur de billet d’une banque:
    « Je dépense donc je suis » Descartes de Crédit

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Patrick Corneau