2406ferli16On croit peut-être que, chaque soir, les appartements se referment sur eux-mêmes comme des huîtres. Et que leurs occupants peuvent enfin oublier leurs soucis et se perdre dans une sorte de douceur nacrée, dans une quiétude, somme toute assez délicieuse, loin des regards. On a tort. Il suffit de se poster, quelques heures auparavant, à une fenêtre de l’immeuble d’en face, et de rester dans l’ombre, derrière les rideaux. C’est ce que font les policiers quand ils tentent de découvrir une réunion secrète, un trafic louche ou les détectives privés lorsqu’on leur a donné une liasse de billets pour une filature et qu’ils sont là, dans leur blouson de cuir, à fumer des cigarettes tout en surveillant. Mais ce sont des gens de métier, ce sont des gens froids et sans passion. Le vrai curieux ne les fréquente pas. C’est un passionné qui a ses habitudes et qui sait attendre. C’est un professionnel du regard. Il habite l’immeuble d’en face, peu importe l’étage, mais il préfère regarder d’un peu plus haut. Il n’a pas besoin, comme le diable dans les contes d’autrefois, de soulever les toitures. Il observe tout de sa fenêtre, il a le temps, il n’interprète pas. Il voit, par exemple, le dernier étage d’une façade quelconque. Il ne l’a pas choisi. Il réside juste en face, par hasard. Il n’a pas besoin de jumelles, comme dans les films d’espionnage, il a de bons yeux, il sait voir. Il a observé, tout le jour, cet appartement sous les toits. Il y a deux fenêtres, ou plutôt deux portes-fenêtres dont un battant de l’une est grand ouvert nuit et jour, si bien que la vue plonge sans difficulté à l’intérieur. Le vent polaire fait bouger un peu le voilage derrière l’autre battant. Jour après jour, tandis que la température baisse, cette fenêtre qui bée sur une muette obscurité fait de ce logement un piège mortel. Le vieil homme qui l’habite et qu’on voyait de temps à autre agiter un chiffon de ménage est-il toujours là? Que se passe-t-il dans cette pièce, quelle sorte d’événement macabre s’y est-t-il joué?
Le rideau pâle frémit dans l’air de la nuit. Personne n’y prête attention. Le mystère demeure entier.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Aukazou says:

    Au fond, rien de nouveau depuis Restif sauf à décliner l’exercice : l’observateur-policier; l’observateur-ornithologue; l’observateur-voyeur; l’observateur-oisif.

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Patrick Corneau