maxnewsworldthree255063ferli0Alors que la perfide Albion se désunit sous les yeux ébahis d’une Europe mal unie, la France convalescente de ses luttes intestines apprend à se ré-unir autour de la rondeur du ballon et de la roue de vélo…
Le cercle, la sphère, objets transitionnels par excellence, quasi-objets paradigmatique pourrait-on dire, rendent possible le consensus du collectif comme l’a génialement montré Michel Serres. En effet, le quasi-objet est un objet sur lequel chacun s’accorde, quel que soit son point de vue, et qui établit instantanément chez celui qui le porte la reconnaissance de tous les autres. Dans l’espace physique, le seul objet indifférent au point de vue, produit comme le galet par les tensions et les chocs innombrables venus de toute part (le brassage des flots), est la sphère. Taper dans un ballon reste donc le dispositif le plus universel d’intégration des individus dans les logiques collectives ainsi que pour l’apprentissage de la vie en société. Comme la tête du roi qui roule sur l’échafaud en 1793, le ballon, roué de coups, frappé, lancé dans les airs, perd à coup sûr la face, informe d’être heurté de tous côtés. N’ayant ni devant ni derrière, ni dessus ni dessous, ni droite ni gauche, cet objet parfait du débat fait l’unanimité: autour de lui se reconstruit la cohésion sociale et la paix des cœurs…
Le Tour de France (même si désormais son circuit n’est plus un cercle) est lui aussi ce moment d’unanimité annuel où les Français, toutes classes, appartenances socio-géo-politiques confondues se reconnaissent, se retrouvent dans le traçage vélocipédique du territoire, le déroulé des paysages où s’origine le sentiment national. Il est vrai que sans le Tour, la France serait un peu moins la France.
Dans un très beau texte*, Marie-Hélène Lafon a évoqué la « liturgie » du Tour de France dans son enfance, ce moment où le labeur des champs s’arrête, chacun communiant à sa façon (celle du père n’est pas celle de ses filles) le plaisir d’être ensemble (mais dans la juste distance) face à l’événement sportif dans sa présence télévisuelle.

« Le Tour de France
Au moment du Tour de France, si le temps était sûr, on faisait une pause pour regarder l’arrivée de l’étape. La cuisine restait fraîche. Les volets étaient fermés. D’abord on ne voyait que des lignes, des creux d’ombre. On était pris, happé, dépouillé, comme d’un vêtement, de la lumière qui écartelait tout depuis le matin autour de la maison trapue. Ensuite les yeux s’habituaient, retrouvaient les choses à leur place, chacune. Le père allumait la télévision. Elles ôtaient leurs chaussures. Leurs pieds étaient blancs. Une odeur de sueur jeune nimbait leurs corps solides.9782283029039
(…)
Le son de la télévision était bas. Le père savait le nom des coureurs. Il parlait sur­tout du meilleur grimpeur qui portait le maillot blanc à pois rouges. Il commen­tait les paysages. Il préférait les étapes de montagne. Il regardait si le foin était haut dans les prés, si on voyait des vaches. Il ne disait pas des vaches, il disait des bêtes. Il comparait les pays. Il disait aussi que plus tard elles pourraient aller partout, elles iraient chercher ailleurs ce qu’elles n’avaient pas trouvé chez elles. Elles ne répondaient pas. Elles étaient un peu amoureuses d’Eddy Merckx. »
Marie-Hélène Lafon, Histoires, éditions Buchet/Chastel (Prix Goncourt de la nouvelle 2016).

* Saluons les éditions Buchet/Chastel d’avoir eu l’heur de rassembler en format poche avec Histoires la totalité des nouvelles de Marie-Hélène Lafon publiées chez l’éditeur ou bien ailleurs et/ou épuisées. Un livre à offrir, s’offrir pour découvrir, redécouvrir la maestria d’une de nos plus authentiques stylistes.

Illustrations: Photographie ©MaxPPP / éditions Buchet-Chastel

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Patrick Corneau