1712hmorganlettrine2L’affreux massacre de tous les possibles que le cours de la réalité exige (voir mon billet), je n’en trouve pas de plus belle célébration/déploration que dans ce poème de Wislaya Szymborska, intitulé « Gare »:

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Ma non-arrivée dans la ville X
a eu lieu ponctuellement.

Je t’avais averti
par une lettre non envoyée.

Tu n’es pas venu à temps
exactement comme prévu.

Le train est arrivé quai trois.
Beaucoup de gens sont descendus.

L’absence de ma personne
suivit la foule jusqu’à la sortie.

Quelques femmes m’ont remplacée
rapidement
dans cette marche rapide.

L’une d’elle a été accueillie
par quelqu’un qui m’était inconnu,
mais elle l’avait reconnu
immédiatement.

Ils ont vite échangé
un baiser qui n’était pas le nôtre

Suite à quoi on a égaré
une valise qui n’était pas la mienne.

La gare de la ville X
a réussi l’examen
de l’existence objective.

Le tout bien planté à sa place.
Les détails se mouvant dans l’ordre
sur des rails désignés à l’avance.

Même le rendez-vous
avait bien eu lieu.

Sans que puisse l’atteindre
notre présence.

Au paradis perdu
de la probabilité.
Ailleurs. Ailleurs.
Quelle musique dans ce mot.
Wisława Szymborska, « Gare », De la mort sans exagérer, traduit du Polonais par Piotr Kaminski, Fayard, 1996.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Célestine says:

    Extraordinaire non-variation sur le thème de la réalité et du fantasme.
    N’ayant pas lu votre billet, je ne fais pas de commentaire, vous conviendrez que c’est la meilleure chose à faire, étant donné que vous n’aurez pas lu le mien. 😉
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. catherine says:

    Ça me fait penser à ce personnage qui, ayant déménagé, avait envoyé un carton à quelques connaissances, rédigé ainsi :
    VOUS POUVEZ CONTINUER A NE PAS M’ECRIRE, MAIS A MA NOUVELLE ADRESSE :
    Machin, impasse du désir, à l’angle de la rue Ecoute s’il pleut, etc.

    Catherine

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Patrick Corneau