Melencolia_I_(Durero)ferli13On connaît la célèbre définition de Victor Hugo: « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » Mais avant lui Montaigne a écrit : « Il y a quelque ombre de friandise et délicatesse qui nous rit et qui nous flatte au giron même de la mélancolie. » (Essais, II, 20).
Mais la plus belle interprétation de la mélancolie se trouve dans les Cahiers de Paul Valéry — dont le taedium vitae marqua profondément la sensibilité.
A quoi songe la Melencolia de Dürer, cet ange assis, la joue appuyée sur le poing gauche? Le poète de La Jeune Parque répond admirablement à cette question. Ce qui accable de tristesse l’ange couronné de laurier, c’est l’affreux massacre de tous les possibles que le cours de la réalité exige.

Apparition de la Divine Mélancolie sous figure d’un jeune être —jeune fille vierge ou héros — chargé du soin de ce qui n’a pas été, de ce qui n ‘a pas pu être — de tout ce qui gonfle le cœur de larmes qui ne peuvent elles-mêmes jaillir — d’une tendresse sans réponse.
Sa voix est infiniment douce et voilée, comme s’adressant à elle-même et sans interlocuteur concevable. Car cette créature est au-delà du possible. Elle est donc hors de la vie et du monde, mais cependant vivante injure à Dieu, car la Toute-Puissance ne peut rien pour racheter ce qui ne fut pas — et la tromperie du monde créé à l’égard des humains. Thème de l’impuissance divine.
Athikté pleure et ses jambes ploient sous elle lentement. Elle s’endort en larmes.
Paul Valéry, Cahiers, II, édition de la Pléiade, (p. 1336-1337).

Illustration: Melencolia I, Albrecht Dürer (1471–1528).

  1. Serge says:

    « Les mots les plus tristes de la langue française:
    Ce qui aurait pu être. »
    Finkielkraut cité de mémoire approximative.

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Patrick Corneau