1660879-lgferli4Je viens de refermer Prenez-moi tout mais laisser-moi l’extase* de Christiane Rancé. Cette belle méditation sur la prière m’a laissé un peu sur ma faim, un peu comme un splendide repas dont on serait écarté, qu’on ne pourrait que contempler. Je m’explique cette frustration par mon incapacité (pas mon inaptitude) à prier même si j’en ai souvent le désir. Pourtant, il me semble avoir des rituels, des gestes très privés qui s’en rapprochent. Il est probable que Christiane Rancé me rassurerait en me montrant que certaines attitudes relèvent de l’oraison et qu’à ma manière je participe au festin (ne serait-ce qu’en bout de table). Je veux dire que tout ce que nous accomplissons avec dévotion, émotion, amour, avec la force de concentration, d’attention qui conduit au silence intérieur et à l’oubli de soi EST oblation. Je n’ai pas honte d’avouer que le « moment esthétique » est pour moi une forme de prière: certaines lectures, quelques moments (rares)9782021061901 d’écriture, la contemplation des œuvres de peintres aimés. Surtout l’écoute de la musique. Non, de certaines musiques qui ont nécessairement un aspect incantatoire – appel qui prend la forme d’un chant, d’une mélopée voire d’un cri – et provoquent comme on disait jadis, un « transport » qui a pour effet d’augmenter, d’amplifier, de dilater l’être actuel.
Y a-t-il plus forte prière que « A Love Supreme » de John Coltrane? On peut prier avec John Coltrane, comme avec Thomas Tallis (1505-1585) et son motet à quarante voix indépendantes Spem in alium, mais aussi avec certaines compositions d’Arvo Pärt ou John Luther Adams. Comme le fait remarquer avec justesse Christiane Rancé: La musique est, à sa manière, une prière qui résiste à tous les périls de mésinterprétation du verbe et dont le logos propre relève de l’émotion – corps et âme. Sa liberté nous rend libres.
Oui, libres au point de pouvoir faire le grand écart pour la rencontre avec l’Ineffable que nulle littérature ne peut indiquer car nos mots sont faits d’avance et « l’âme des choses n’est pas dans les mots. »**

* Christiane Rancé. Prenezmoi tout mais laissezmoi l’extase. Méditation sur la prière. Seuil, 2012. [le titre reprend un vers d’Emily Dickinson]
** Antonin Artaud.

Illustrations: Flickr / Editions du Seuil.

  1. catherine says:

    je ne pratique pas ce genre de chose et suis bien loin de tout cela, mais il me semble que non, pas vraiment besoin d’un dieu, il devrait suffire de laisser oeuvrer quelque chose en soi, de l’ordre de la joie, de l’extase justement, se « recueillir » et se laisser recueillir dans quelque chose de très vaste ?

    1. Ce « quelque chose en soi » ne serait alors qu’une affaire physiologique, une excitation électrique entre neurones, un échange chimique entre quelques glandes? Ou bien quelque chose de plus… Disons, spirituel? Et là, ça se complique un peu, la question de la cause première se pose inévitablement. 😉

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Patrick Corneau