imagehmorganlettrine2Si je ne devais donner qu’un texte qui illustre au mieux selon moi l’esprit ou plutôt la tonalité qui colore ce blog (et même l’a initié), ce serait le texte qui suit:

Si regret est de choses, de réalités n’ayant plus cours, nostalgie l’est de ce à quoi donnaient accès ces choses. Et en ce sens ne déplore rien, n’en ayant pas le temps à perdre, s’attachant plutôt à élucider cet on ne sait trop quoi que ces certaines choses ou réalités avaient donné à connaître ou pressentir, semble-t-il rétrospectivement, ou avec certitude mais sans se souvenir de quoi au juste, et dont le défaut nous est aujourd’hui une grave lacune; qui étaient alors des moments de contact avec ce que dérobaient autrement les allures bruyantes et sans gêne de ce monde-ci, que procuraient parfois l’ennui et la solitude, le silence et la matérialité du monde; moments chargés de pressentiments et d’imaginations pour l’enfant assis songeur dans l’escalier avec un livre, ou découvrant derrière les ronces et les orties une resserre à outils abandonnée au fond du jardin, ensevelie sous les sureaux et les acacias, que troublait l’heure crépusculaire de décembre où s’allument les devantures le long des rues allant se perdre au loin; s’aventurant à pousser une porte de grenier, s’avancer seul dans le jour diffus des vitres poussiéreuses, des toiles d’araignées, où se tenait un tel silence parmi des choses reniées. Qui étaient des énigmes mêlées de visions, des élans d’enthousiasme encore sans objet, des illuminations juvéniles, des nostalgies déjà, la conscience déjà d’une seule vie. »
[…]
Car « il apparaît que la nostalgie seule peut s’offrir en vraie guérison de la mélancolie, accablée ou non… la nostalgie peut nous conduire où l’on pourrait enfin – comment dire? devenir le même – celui que pressentait une vie ardente à fuir les résignations recommandées, et, comprends-le, inévitables (sauf à te vouloir promptement misérable, et à la longue d’en venir à la folie ou au suicide, etc.), quand il y avait devant soi ces années ouvertes et un univers entier à déchiffrer. »
Baudouin de Bodinat, Au fond de la couche gazeuse, 2011-2015, Éditions Fario, 2015, pp.116 et 120.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Célestine says:

    Commençant à vous connaître un peu, et sans aller au bout du texte, j’ai eu le pressentiment qu’il était de cet auteur que vous affectionnez tant ( ça se dit, ça, affectionner ? Ou me voilà embarquée dans le travers de notre époque d’utiliser des barbarismes alambiqués à « l’insu de mon plein gré » ?
    Quoi qu’il en soit, j’aime beaucoup l’image de cet enfant qui lit dans les escaliers. J’ai pris un coup d’enfance en pleine face et je l’ai suivi jusqu’à la resserre abandonnée avec la délectation de retrouver un souvenir familier tel que celui que je décris ici (je vous recopie mon texte in-extenso, car votre blog mange mes commentaires à chaque fois que je tente de mettre un lien)

    « Deux enfants couraient sous la pluie dans le parc aux amples buissons humides. Ils se cachaient sous le grand sapin, au tapis aiguilleté de mousse, et grimpaient dans la charmille du kiosque. La neige d’avril s’accrochait en diamants aux pousses des jonquilles.
    Deux enfants jouaient sous la pluie avec des bouteilles d’eau de fleur d’oranger, dont le verre violet luisait dans le soir. Le parfum doucereux se mêlait à celui des premiers iris. Le train Biziballe démarrait sur la margelle. Ces deux enfants insouciants, c’étaient moi et mon petit frère Gilou. »

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Patrick Corneau