imageferli15Dans l’indifférence générale du monde politique et médiatique, des institutions, des intellectuels, le CEVIPOF a rendre publique sa grande enquête annuelle sur la confiance des Français de janvier 2016. A la lecture de ses résultats, on comprend aisément pourquoi la France dite « d’en haut », la classe dirigeante, préfère passer sous silence cette étude approfondie. Elle en dit long sur l’état désespéré de l’opinion publique et la méfiance envers la nomenklatura politique et médiatique. La crise de confiance est durable, profonde, générale… Le climat est à la déprime chez 88% des Français dont le sentiment principal est la lassitude (31%), la morosité (29%), la méfiance (28%). Exactement la même proportion, 88% des Français, estiment que « les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme eux ». 82% ont une vision négative de la politique: 39% de la méfiance, 33% du dégoût, 8% de l’ennui. 81% expriment leur désenchantement à l’égard des hommes et des femmes politiques: 54% de la déception, 20% du dégoût, 5% de la détestation. En outre, 67% des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien.
Fonctionnait-elle mieux en 1942? Non, bien évidemment et pourtant, aux heures les plus sombres, quelques Français, dont Léon-Paul Fargue, avaient le courage de vouloir restaurer la confiance…

« Je voudrais dessiner aujourd’hui cette fleur fragile comme une poudre de fraîcheur sur un fruit nouveau, comme la rougeur sur une joue timide et qu’on appelle la confiance: elle donne le sentiment et peut-être la sensation la plus complète et la plus douce que nous puissions éprouver, la plus féconde aussi. Que ne peut réaliser de chaud et de grand un cœur qui a confiance? Paraphrasant le mot fameux de Pascal, je dirais volontiers: « Posez la confiance et vous créez le monde; supprimez la confiance, et il ne reste rien. » Si nous en voulons tant aujourd’hui à quelques hommes, c’est avant tout parce qu’ils nous ont fait perdre la confiance que nous avions encore en eux. C’est la pire des trahisons, le pire des abandons, le pire des crimes, et nous ne pouvons le leur pardonner. Ils ont tué notre confiance, ils ont fait naître dans notre cœur la bête fétide, la puantise du doute. C’est bien cela l’ennemi: c’est celui dans lequel nous ne croyons plus. Car les hommes vivent de confiance et ils meurent de doutes. Le soleil, la route ouverte comme une main, la mer étale, le regard sans tache, la lettre sincère et les promesses tenues donnent confiance. Les nuits de crachin, les chemins tortueux, les ruelles de sépia, les doutes moisissent nos cœurs. Nous étions fruit doré, nous ne sommes plus que galantine verdâtre. Il faut si peu de choses pour fausser les balances et précipiter lame vierge dans les boues du mensonge. Le mensonge est une glu.
Les hommes vivent de messages, de feuilles, de rosée et de transmissions mystérieuses. Leurs fleurs et leurs fruits tombent sous la loi de cette palette qu’est le temps, et dont les éléments n’apparaissent dans toute leur clarté qu’aux paysans: le vent, les gelées, les horizons de lapis ou de cornaline, les ondulations permanentes du soleil, les bruits, les oiseaux, les insectes. Ainsi de nous…
Car le citoyen aussi vit de bruits, d’effluves, de courants et de vibrations. Tout cela donne des ailes et des ancres à nos vertèbres. Je nomme confiance l’ensemble de ces phénomènes quand ils nous disposent à courir, à crier, quand ils nous donnent du tempérament, de l’éclat, des éperons, des élans de gazelle et des dents de lion. Mais la méfiance donne le contraire de cet état. C’est une mare aux sangsues couleur de coaltar, c’est la borne froide où l’on appuie ses pauvres jambes fatiguées quand on n’a plus, comme dit le poète, le cœur de marcher jusqu’au soir…
Nous avons plus qu’assez de la méfiance. Nous voulons que se regonfle et s’épanouisse la fleur fragile que certains ont cru pouvoir impunément piétiner. Les hommes ne doivent désespérer d’aucun sacrifice, aussi dur soit-il, pour remettre en marche entre les peuples cette circulation des sentiments, pour faire renaître entre eux cette estime réciproque, source féconde du vrai progrès, des créations collectives de l’esprit et du cœur; pour que de nouveau, à travers les continents dénoués, s’établisse le rythme chaud des échanges et des promesses, pour que l’amour, qui est une forme de la confiance, puisse franchir les frontières dérisoires derrière lesquelles les hommes se barricadent et s’épient. »
Léon-Paul Fargue, « Confiance », Lanterne magique, Chroniques littéraires de Paris occupé, Seghers, 2015.

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  1. Nostalgie says:

    La confiance est comme la virginité et comme l’enfance. Une fois enfuie, elle ne revient plus.
    Le ver est dans le fruit et le doute dans l’homme.
    On peut rêver avec nostalgie de cette « fleur fragile » comme de cette « main du soir sur ce coeur agité ». « Il n’aurait fallu qu’un moment de plus… »
    D’une main fraternelle, aimante et secourable.
    Mais la vérité c’est que le monde est un cactus.
    Et un cactus qui se donne des airs de vertu.
    Rien n’échappe aux fourberies, aux illusions et aux malhonnêtetés. Ni l’amitié, ni la lucidité, ni le reste. Et encore moins la politique.

  2. Nostalgie says:

    Je me suis peut-être un peu emballé lorsque je l’ai rédigé 🙂
    J’aime beaucoup venir vous lire.
    A bientôt,

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Patrick Corneau