Michel-Tournier---Marc-Canoferli15Le « vicaire » du presbytère de Choisel, dans les Yvelines, est décédé, lundi 18 janvier, à l’âge de 91 ans. J’avais eu le plaisir d’accueillir ce germaniste hors pair à Fribourg au lycée Turenne en 1991 pour une rencontre informelle avec mes élèves autour de ses livres (Vendredi ou la Vie sauvage principalement). Beau moment de dialogue et de respect admiratif des plus jeunes envers un écrivain qui savait parler aux adolescents comme à des adultes en puissance.
Chapeau bas Monsieur Tournier!1780863_10208598552342402_8445541372307196673_n
Comme par une étrange coïncidence, cette triste nouvelle est tombée au moment où je relisais quelques-uns de ses essais. Le portrait qu’il a fait de Gilles Deleuze dans Célébrations en dit long sur le culte qu’il vouait à l’amitié, le mot « amour » lui paraissait être un gros mot – un vocable un peu trop lourd à porter pour ce christophore. Il avait créé le mot « bassitude » (voir infra) dans Gaspard, Melchior & Balthazar. On peut donc dire: « La bassitude intellectuelle n’était pas le fort de l’écrivain Michel Tournier ».

Dans Le pied de la lettre, Trois cents mots propres (Folio 2881), Michel Tournier passe au crible les centaines de milliers de mots que nous offre la langue française pour ne retenir que ceux « qui (lui) paraissent intéressants par quelque côté, leur étrangeté, leur drôlerie, leur beauté, la dérive aberrante de leur usage, etc. » J’ai retenu trois néologismes dont il est l’auteur: il les a créés pour les besoins de la narration dans l’un ou l’autre de ses romans les plus connus.

BASSITUDE
Altitude négative. État de ce qui se trouve au-dessous du niveau de la mer. Mot créé par Michel Tournier dans Gaspard, Melchior & Balthazar à propos de la mer Morte, dont la bassitude est de 400 mètres.

HÉLIOPHANIE
Lever du soleil considéré comme une divinité. Mot créé par Michel Tournier dans son roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique.

ICONISATION
Mot créé par Michel Tournier. Certains paysages, monuments ou personnages célèbres, pour avoir été copiés, représentés ou photographiés excessivement, se trouvent vidés de toute réalité, réduits à leur propre stéréotype, sans épaisseur ni consistance. La tour Eiffel, la Joconde ou telle et telle vedette de music-hall, rongées par l’image, n’existent plus comme réalités. C’est le phénomène d’iconisation, considérablement aggravé par la multiplication des médias.

Il est peut vraisemblable que Michel Tournier soit victime d’une iconisation, mais on peut gager, malgré la bassitude morale et intellectuelle de l’époque, une héliophanie de son œuvre…

Illustrations: Michel Tournier et Marc Cano, proviseur, dans la cour du lycée Turenne de Fribourg (Freiburg-Im-Breisgau) / en fond d’écran le lycée Turenne de Fribourg.

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Patrick Corneau