12088324_10208007746172617_1976135990322654703_nferli16Je viens de voir « L’homme irrationnel », dernier long métrage de Woody Allen où rien, absolument rien n’échappe à l’humour cruel du cinéaste (l’amour, l’art, la philosophie, l’enseignement, la sexualité, le couple, l’engagement politique, etc.). Cette table rase de ce qui constitue les fondamentaux (si ce n’est les fondements) de nos communes existences a insinué en moi la réflexion suivante.
Le fait de se moquer de tout, de ne rien prendre au sérieux pose inévitablement la question qui fâche (surtout les thuriféraires): faut-il prendre au sérieux un cinéaste qui ne prend rien au sérieux (si ce n’est son art, au moins commercialement)?
La question n’est pas triviale, elle fera que vous entrerez dans un cinéma en sachant que vous n’en n’attendez rien ou pas, que vous en ressortirez plus « ange » ou plus « bête » (comme aurait dit Pascal). Woody Allen se met en effet dans une position intenable: la posture auto-(in)validante du menteur qui voudrait nous faire croire à ses propres « mensonges ». Ou de l’arroseur arrosé. L’impossibilité de nous faire adhérer à quoi que ce soit de ferme, de logique*, d’un tant soit peu éclairant quant à la signification de notre présence en ce monde n’explique-t-il pas son psittacisme cinématographique, cette succession effrénée de films, vite produits, vite filmés – fuite en avant qui ne sert qu’à déguiser, calmer, endurer son marasme spirituel: « Je voudrais croire en quelque chose, je n’y arrive pas, mais je m’efforce ». Drame au fond assez commun de l’agnostique. Dans un monde partagé entre la déréliction des idées chrétiennes devenues folles (Chesterton) et la terreur répandue par les extrémismes de tout poil, Woody Allen avec son nihilisme tempéré d’à-quoi-bon nous laisse en plan… Avec lui nous ne sommes assurés de rien si ce n’est du caractère aléatoire de nos vies. So what? Autant dire que Woody Allen ne nous aide pas. Au moins sait-il nous divertir intelligemment pour 8,20€ pendant une heure trente-sept minutes (ce qui n’est pas rien, d’où mes 3 « pouces levés »). On ne peut s’empêcher aussi d’évoquer l’étrange figure de Zelig le personnage caméléon mis en scène par Woody Allen dans son film éponyme; les personnages de ses films ne sont-ils pas les multiples avatars, reflets névrosés d’un unique « Woody Allen Zelig » obnubilé par le blanc d’un secret dangereux et fascinant (je suis personne)?
Vient alors la question qui tue: et si cette pétulante machine tragi-comique légèrement acidulé comme un bonbon n’était qu’un rideau baissé sur le VIDE?

* Sans doute pense-t-il que « La cohérence est le terrain de jeu des esprits bornés. » (Yuval Noah Harari).

[Quant à la culture proprement « philosophique » de Woody Allen, elle proprement sidérante de bêtise! Voici ce qu’il déclarait récemment dans le Point concernant ses « choix » philosophiques:
Je n’ai pas de préférence. Lire Spinoza et Descartes est distra
yant, mais les existentialistes comme Kierkegaard, Sartre et Nietzsche sont bien plus amusants parce que ce sont les plus dramatiques et les plus poétiques. Si vous prenez un philosophe anglais comme Bertrand Russell, ce n’est pas très drôle parce qu’il n’y a pas moyen d’argumenter, c’est du bon sens. Les Français, comme Sartre, sont moins ennuyeux. Mais, en fin de compte, peu importe. « Whatever works ». C’est le titre d’un de mes films et c’est mon état d’esprit: du moment que ça marche, tant mieux.
Le corpus philosophique jugé à l’aune du « distrayant », « amusant », « ennuyeux »… tout est dit!]

Illustration: Affiche du film, Gravier Productions.

  1. Célestine says:

    Mais qui a « fait » Woody Allen ? Si ce n’est les critiques qui ont crié au miracle dès la sortie de son premier film, en le déifiant quasiment sur l’autel de l’intelligentsia bobo des année 70…au point que beaucoup de spectateurs n’ont jamais vu un film de lui, à cause de cette étiquette de « cineaste intello »produisant des films chiants…
    Ses derniers films sont inégaux, je vous l’accorde, dont certains complètement ratés, il vieillit (oserai-je dire comme tout le monde) il a ses thèmes, ses manies, ses lubies, malgré tout, cela reste pour moi un cinéma divertissant et intelligent en même temps, qui mérite le détour. Son humour désesespéré et exaspérant me plaît.
    Vous l’aurez compris, je l’aime.♥︎
    J’irai donc voir son dernier film, mais comme je vous aime aussi, enfin, ce que vous dites là, je penserai à vous. Je vous dirai.
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. catherine says:

    Il y a bien sûr les films culte comme « Annie Hall » et « Manhattan » dont on ne se lasse pas, mais un film comme « Intérieurs » moins connu, avec des clins d’oeil à Bergman, m’avait bouleversée, la fin tout particulièrement où le personnage de Pearl, sous ses apparences de femme un peu commune, un peu trop gaie et gaffeuse, révélera une sensibilité et une générosité magnifiques.
    La fille qui a déçu, Joey, la préférée du père, dont il dira « enfant elle était extraordinaire », aura elle aussi un rôle clé à la fin.
    Je vous le recommande tout particulièrement, il existe en DVD.
    Pas encore vu « L’homme irrationnel ».
    Bien à vous,
    Catherine

    1. Oui, « Interiors » est aussi mon préféré, dommage que W. Allen n’ait pas continué à explorer ce filon bergmanien… « Blue Jasmine » est aussi un sommet, à mon goût le meilleur dans sa production récente. Merci pour votre visite et commentaires. 🙂

  3. catherine says:

    Ça me fait plaisir que vous ayez aimé « Interiors ».
    Quant à « Blue Jasmine », c’est presque insoutenable de cruauté !
    Bien à vous,
    Catherine

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Patrick Corneau