ferli14Alléché par le titre Roland Barthes, la mélancolie et la vie, je me suis laissé tenter. Mal m’en a pris. Voici l’exemple même du livre à fuir, ce que l’université génère de pire: la thèse recyclée, réécrite (abominablement) pour un public dit « cultivé ».
Dans un sabir filandreux* de pseudo-intellectualité, aggravé par un français approximatif (dans la jaquette de couverture l’auteur, Dimitri Lorrain, est pourtant présenté comme « chercheur ») où les fautes de langue** côtoient les coquilles de l’éditeur, le sujet central de la mélancolie barthésienne est magistralement (si l’on peut dire) saboté. D’un chapitre l’autre, le « chercheur » ne fait que répéter en le paraphrasant le texte de Barthes, disloqué, vaporisé en une multitude de citations qui ne font qu’embrumer davantage ce désespérant pensum. Aucune originalité dans l’approche, on nous serine qu’il y a une mélancolie « bonne » (féconde) et une mélancolie « mauvaise » (maladive): en gros celle des démocrates progressistes partisans du « vivre-ensemble » opposée à celle des vilains conservateurs nostalgiques de l’ordre patriarcal. Quelques thèmes barthésiens sont martelés à plus soif dans un psittacisme désolant. On cherche vainement une méthode ou méthodologie solide (dont l’absence est tout de même gênante pour un travail de nature académique!). Pire, on sent des notions ou concepts de base mal assimilés et employés de manière floue, incertaine.c7696dc91ff4998cd81ed2a3be57d029
La mélancolie du « second » Barthes (1973-1980) demandait autre chose qu’un plat constat (ce que tout lecteur de Barthes a déjà fait) mais une exégèse qui utilisât les ressources de la bathmologie barthésienne dans une sorte de pliure sur elle-même, dans l’épreuve d’une élévation au carré ou d’une mise en abyme. La prose déliée, fine, intelligente et insoutenablement mélancolique de Barthes méritait mieux que les pesants sabots de ce « chroniqueur » installé à Francfort-sur-le-Main (ceci expliquant peut-être cela). Les étudiants du fameux séminaire de la rue de Tournon étaient véritablement d’une autre envergure (Chantal Thomas, Colette Fellous, Pascal Bruckner, etc.), quelle dégringolade!
Malheureusement, on voit par là que le centenaire de la naissance de cette figure centrale et atypique de la pensée contemporaine laisse le marketing éditorial perpétrer
(sans vergogne) tous les « coups » – les plus médiocres soient-ils.
La pièce maîtresse où s’enracine la mélancolie de Barthes est le Journal de deuil, pudique « tombeau » à la mère où est dit de manière sobrement élégiaque le vécu traumatique de sa mort. Toute l’œuvre de Barthes est issue de la transmutation de la mélancolie liée à l’attachement/séparation maternelle en individuation (le « sujet » Barthes) et en création (l’écriture, l’enseignement).

* « L’individuation du sujet va avec le surmontement mélancolique de l’énigmatique et des difficultés internes et externes elles-mêmes mélancolisantes. »
** « idiorrythmie » pour « idiorythmie », etc.

Illustration: Lemieux Éditions.

  1. Célestine says:

    Ah ! Ciel ! la phrase que vous citez « L’individuation etc… » est à vomir.
    Quand je vous parlais du sabir de l’éducation nationale, je crains que ce pseudo- essayiste du pays des saucisses n’en soit un transfuge…Il en a la fatuité et la vanité au pire sens du terme.
    je sens que je vais lire Barthes directement, sans son filtre filandreux.
    ¸¸.•*¨*• ☆

    1. Petite fable en forme de dialogue:
      « – Moi ? dit-elle. Je suis d’abord allée à la fac pour devenir professeur de lettres.
      Elle poussa un soupir et appuya le menton dans son autre main.
      – J’ai essayé. J’ai lu Derrida. J’ai lu Lacan. J’ai lu Lire Lacan. J’ai lu Lire Lire Lacan, et c’est alors que je me suis inscrite à l’école de bibliothécaires.
      – Je ne sais pas qui est Lacan.
      – C’est…, vous voyez ! C’est pour cette raison que j’aime les bibliothèques. Pas de qui, ni de pourquoi. Seulement des ? ».
      😉

    2. Aukazou says:

      Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur des blogs de fortune, Célestine. Et puis, je note que « le pseudo-essayiste du pays des saucisses », quoique plus jeune que vous et docteur de surcroît, a lu Barthes lui…ce qui n’est pas encore votre cas.

      Bien cordialement

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Patrick Corneau