20150508_174228_0010hmorganlettrine2Au Palazzo Querini Stampalia (Fondazione Querini Stampalia) situé dans le quartier du Castello à Venise, où deux niveaux sont dédiés à l’art contemporain, les « appartements » donnent à voir une remarquable toile de Giovanni Bellini (1430? – 1516) représentant la présentation de Jésus au Temple.
Tableau aux dimensions modestes, d’un coloris un peu éteint. Composition saisissante par le jeu des regards (étonnants par leur neutralité expressive) se renvoyant les uns les autres comme une bondissante bille d’acier dans un billard électrique. Peinture en aplats. Pas de profondeur baroque ni de hiérarchie dans le dispositif scénique. Dans une stricte équivalence/symétrie, les personnages semblent se tenir au bord de la toile, si près, si proches de nous et pourtant résolument inaccessibles. Représentation extrêmement difficile à comprendre en raison de sa privation absolue de tragique, de mouvement, d’angoisse, de réalité et d’épaisseur humaine, de parole, de son – un Logos qui ne parle pas, qui signifie sans dire. Dans les plis des manteaux de Rembrandt l’humanité toute entière se niche avec son drame éternel alors qu’ici la toile creuse un silence sensible qui s’amplifie à mesure qu’on la regarde. Impression de malaise par rapport à un mystère qui n’a pas d’ombre. Extraordinaire économie des moyens, un « art du peu » souverain à qui l’on doit cet impossible mélange de grâce et d’abstraction. Le monde peut bien être mis sens dessus dessous (et Dieu sait s’il l’est aujourd’hui à Venise), l’Essence devinée ici restera inchangée. L’artiste ne nous la transmet pas, il faut deviner – il faut surtout croire – l’Essence. Devant nos visages étonnés, le plus souvent privés de toute lumière, de toute élévation spéculative, la présentation de Jésus au temple de Bellini est née et restera silencieuse.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Pierre says:

    Ce tableau, à lui seul , mérite le voyage à Venise et s’il vous reste un peu de temps vous pouvez voir « Woman Walking » d’Alberto Giacometti, chez Peggy, magnifique de simplicité également.

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Patrick Corneau