DSC014370hmorganlettrine2Deux approches critiques de la télévision, l’une par un poète, l’autre par un philosophe-médiologue. Deux points de vue pour décrire notre malheur quotidien.

« Le pire de la télévision n’est pas dans ses contenus, mais dans sa nature, son rythme et son ton. Le flot illimité d’images, non seulement se saisit du regard, mais aussi de la pensée, à laquelle, contrairement au paysage et à la peinture, il ne lui est pas permis de retour. L’empressement hallucinant étouffe la cadence naturelle de l’être humain et l’absorbe pathologiquement d’un mouvement précipité qui altère son véritable rythme. L’orientation binaire, affirmative et publique à l’excès, de la télévision, circonscrit un message résolument autoritaire, sinon totalitaire. Prétendre s’adapter au langage télévisé ou l’utiliser en tant que véhicule pour l’éducation et la culture, est un lamentable et dangereux malentendu. Il ne suffit pas de filmer des programmes qui ressemblent à des cours ou quelques lectures de poèmes, fussent-ils accompagnés d’une musique ambiante. L’inconsistance de la structure, la déformation du rythme et le message dirigé sans discrimination vers un auditoire moins que moyen, ne sont pas des attributs rachetables. Là où la contemplation, la réflexion, la pause et le silence n’ont point de place, il n’y a pas de lieu propice pour l’homme libre et créateur, ni pour la pensée ouverte, cernée de surcroît par l’entrave commerciale et propagandiste, ou politique et idéologique. »
Roberto Juarroz, Fragments verticaux, José Corti, 1994.

« Soins palliatifs – Le 20 Heures à la télé, hier soir. En ouverture, le match de rugby France-Galles, puis une joggeuse violée au coin d’un bois, une tornade aux USA, une inondation à Montauban, un excès de vitesse, une recette de cuisine, un accident de parachute, et, en bouquet final, dix minutes avec une actrice en promo, pour un navet produit par la chaîne.
Voilà de la bonne propagande parce que sans propagandiste. Elle ne cherche à convaincre personne de rien, sinon que rien ne vaut la peine de s’y attarder. La défense et illustration de l’ordre établi se fait mieux par ce tohu-bohu d’anecdotes que par un exposé en trois points sur la mondialisation heureuse. Ce que ses derniers adversaires appellent « la propagande capitaliste » a sur son ex-rivale communiste l’immense avantage de pouvoir se passer d’homélies, en misant sur les ellipses plutôt qu’en soulignant trois fois. Ses coups de gomme en disent plus sur l’esprit d’un régime que ses coups de pub. »
Régis Debray, Un candide à sa fenêtre – Dégagements II, Gallimard, 2015.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

Répondre à gballandAnnuler la réponse.

Patrick Corneau