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Quel écrivain n’a pas ses marottes? (1)

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Maniaqueries, obsessions et autres fixettes des gendelettres.

« Raymond Roussel est un grand maniaque. Il consomme quatre repas en un et dispose chez lui d’un préposé à l’entretien des boutons de porte afin que nulle trace n’en ternisse l’éclat. Witold Gombrowicz plonge dans la terreur quand il doit prendre un ascenseur ou monter dans un tramway. Marguerite Duras ne supporte plus les graisses et essore chaque frite avec son mouchoir. Jacques Lacan fume ses curieux culebras cubains biscornus, calés entre le majeur et l’index. Georges Perec tient son cigarillo entre le majeur et l’annulaire. Michel Houellebecq pince sa cigarette entre le majeur et l’annulaire et la repasse – quel aplomb ! – entre le majeur et l’index. Georges Simenon redoute une guerre mondiale et dispose d’un bloc opératoire alimenté par un groupe électrogène, fonctionnel à la première alerte. Carlos Fuentes lit tous les ans Don Quichotte à l’approche de Pâques. Tom Wolfe ne porte que des costumes blancs. Georges Feydeau ne rit jamais et se prend pour Napoléon III. Nathalie Sarraute voit des sous-entendus partout. André Bâillon a la folie du doute et une frousse bleue du potin. André Breton a une phobie de l’homosexualité. Jerome David Salinger refuse la communication et interdit que suive son courrier qu’il n’ouvre pas. Souffrant d’épistolaro-phobie (incapacité de reprendre son courrier), Jacques Derrida relève à la verticale la poignée de sa porte quand il ne veut pas être dérangé, il a un cimetière de tous les chats de sa vie et conserve tous ses arbres de Noël. Raymond Queneau collecte ses tickets de métro compostés. Anton Tchékhov désire une coupe de Champagne avant de mourir. Alfred Jarry réclame sur son lit de mort un cure-dent. Jean-Paul Sartre, au restaurant, exige des « produits en boîte » plutôt que des aliments frais. Malcolm Lowry avale un flacon d’after-shave quand il n’a plus rien à boire. Jean Cocteau ne sait pas planter un clou, conduire une auto ni remplir sa déclaration d’impôts. Gilles Deleuze laisse pousser ses ongles qui acquièrent une longueur inusitée. Blaise Cendrars, manchot, a une manche attachée par une épingle. Michel Leiris a du mal à se servir d’un tourne-disque. »
Patrick Roegiers, La traversée des plaisirs, Grasset, 2014.

Illustration: The Kansas City Public Library.

  1. AL says:

    Perdu dans un sentiment ambivalent. C’est drôle, oui, attendrissant quelque part. Révoltant de réduire un auteur, en somme un être plus grand que la vie, à des manies de sous-sol d’existence.

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Patrick Corneau