Sans-titre-1hmorganlettrine2Il y a parfois dans la vie des rencontres inattendues, d’autant plus décisives qu’elles étaient improbables; quoique je crois à la « main invisible » qui vous guide vers le livre, là sur l’étal de votre libraire préféré, qui l’a placé ici et pas là pour que votre sérendipité bibliomane le distingue dans le tout-venant éditorial (le dernier roman écrit par le premier venu). Et puis, quelque part, sans doute, vous étiez prêt pour cette rencontre. Ainsi de « Les Cent pas » (Os passos em volta) d’Herberto Helder.
Difficile de parler d’une telle œuvre d’autant qu’elle est précédée d’une rumeur intimidante de dithyrambes, de mots excessifs. Ces récits entre fantasme et compte rendu aigu, rêve et expérience crue de la vie, méditation sobrement lyrique et prière athée, toujours à la croisée de plusieurs genres (nouvelle/poème en prose/théâtre), de plusieurs styles, laissent le lecteur dans un état proche de la sidération, entre perplexité et enthousiasme, flux et reflux de sentiments contrastés, parfois contradictoires mais jamais indifférents. Lire Herberto Helder est une expérience aussi radicale que décapante: on est « pris » inexorablement par cette voix déchirante dans son ironie et explorant cette déchirure grâce à cette même ironie – sans jamais tomber dans une lucidité « intellectualisante » car serrant au plus près, par des images inouïes, le « biologique », le corporel, l’intime le plus secret. Quand il publia ce premier texte, Herberto Helder avait trente-trois ans, on peut véritablement parler d’un coup de génie. Il y a peu d’écrivains capables de susciter un tel choc, un tel foudroiement.
Il faut dire que le texte est servi par la remarquable traduction d’Ilda Mendes dos Santos restituant avec une grande probité et musicalité le portugais un peu baroque et suave qu’écrit Helder. Une traduction qui donne envie de se plonger dans le reste de l’œuvre. Saluons les éditions Chandeigne pour cette belle initiative éditoriale.

Dans sa postface, par ailleurs tout à fait éclairante pour comprendre la singularité de l’univers poétiqueherberto_helder_0 d’H. Helder, Ilda Mendes dos Santos donne ces quelques données biographiques: « Publié en 1963 au Portugal, Os passos em volta est l’œuvre de jeunesse de Herberto Helder, né à Madère en 1930. Passé à Lisbonne pour ses études, il a commencé à écrire très tôt dans des revues, à collaborer dans des journaux et à fréquenter les auteurs liés aux aventures surréalistes et concrétistes, aux expériences avant-gardistes. Son premier recueil de poésie, le foudroyant O amor em visita (« L’amour en visite »), parait à la fin des années cinquante, puis, en 1961, surgissent A colher na boca (« La cuiller dans la bouche »), Poemacto et Lugar. Entre-temps, il aura quitté le Portugal salazariste et voyagé en France, Hollande, Belgique et Danemark où, pour survivre, il aura exercé une multitude de petits métiers, vivant même dans la clandestinité : ouvrier dans les forges de Clabecq, employé de brasserie, coupeur de légumes, guide de marins dans les quartiers d’Amsterdam etc. Ces voyages sont liés au trajet d’écriture dont fait écho le recueil de contes publié au retour. Travaillant comme animateur de radio, comme bibliothécaire, journaliste, critique et traducteur, connaissant quelques déboires avec la censure, on le retrouve en 1971 en Angola où il découvre la fascination de l’Afrique.
Depuis 1961, il n’a jamais cessé d’écrire, reprenant, élaguant, relançant une œuvre devenue un ‘poème continu’ saluée par la critique et par de nombreux prix. Ces prix, il les a tous refusés, se retranchant toujours plus du monde et des compromissions littéraires. Il vit maintenant dans la banlieue de Lisbonne, retiré du siècle, refusant l’assignement à un temps ou à quelque résidence identitaire; chaque œuvre nouvelle fait événement. »

Illustration: Texte et photographie ©Éditions Chandeigne.

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Patrick Corneau