Le lui avait-on assez reproché, enfant, d’être la tête dans les nuages. L’image lui plaisait, les nuages et la lune étaient des pays voisins peuplés de foules de rêveurs égarés. Commencer à rêver, s’attarder en esprit auprès d’un lieu ou d’un être, c’est déjà aimer. On connait déjà par ces frôlements incessants de l’âme, par ces pensées vagabondes où toujours revient se glisser une image, une vision. Les plus riches attentes se font en toute inconscience, promesses indécises prêtes à se déployer. Quand on voit enfin la chose, nous sommes prêts au coup de foudre. Aimer, c’est reconnaître. Admettre que nos appels ont frayé leur chemin vers la réalité, ont façonné les formes qu’il nous faut accueillir.

Il était ainsi fait que, parfois, il avait besoin de trouver refuge en lui-même. Mettre un instant le vacarme du dehors en sourdine, s’abandonner au courant des divagations heureuses ou terribles, faire silence. La solitude est amicale, réconfortante à qui sait l’accueillir. C’était une retraite paisible et pacifique. Non un rejet des autres, mais un retour aux sources, une bouffée d’air.

Adolescent si secret, et si bouleversé par certains de ses disques, qu’il coupait le son dès qu’il n’était plus seul de crainte que la musique ne révèle infiniment trop de ses pensées.

La politesse dont Paul Valéry disait qu’elle est l’indifférence organisée, lui paraissait la juste réponse au dérangement du quant-à-soi par autrui. Au risque de l’incompréhension. Ainsi cette petite fille, abordée de poussette à poussette, qu’il avait refusé de saluer « parce qu’elle ne lui avait pas été présentée ».

Parfois il se sentait coupable d’être rétif à l’air du temps, de s’y engouffrer si mal et plus seul encore de s’être coupé des racines de l’enfance, de son trésor d’images et de joies innocentes. Alors il allait se réfugier dans la lecture afin de se consacrer à son véritable travail qui consistait, pour ainsi dire, à courtiser des parts lointaines de lui-même.

Son esprit s’absentait de son corps, il flottait. On le disait « absent ».
Non, il était présent ailleurs.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Marc Denoyer says:

    J’aime bien le style rédactionnel de cet article. Moi aussi des fois, quand les contraintes sociales me paraissent trop lourdes, je me réfugie dans un bon roman pour prendre des petites vacances. Cela fait beaucoup de bien.

  2. A. says:

    Votre blogue est un des derniers îlots de tranquillité, de calme où la lecture peut être paisible loin de la foule pépiante des polémiques, des calomnies, des mensonges haineux…
    Je suis, depuis que me voilà sur le net, assailli par une agressivité souterraine et calomniatrice… Que faire face à cette animosité masquée ? Face à cet ennemi inconnu ? Sans doute, en faisant une petite apologie du dérèglement, du désordre et en montrant mon coté trouble et tourmenté – de façon peut-être inconsidéré – ai-je encouragé quelques méchants esprits et prêté le flanc à ce qui m’arrive aujourd’hui ? Je ne sais.
    Le « format Blogue » est loin d’être le format idéal pour écrire des choses intimes et qui vous tiennent à coeur. Il y a un coté instantané, « live », trop violent et cruel… Le malentendu n’est jamais loin et semble être la règle… C’est comme faire d’un boulevard mal-famé sa chambre à coucher et son bureau… L’écrit à besoin de distance. Et de papier. Un « auteur » ne doit pas polémiquer avec le tout venant. Il peut s’y abîmer et s’y perdre… Enfin, je crois.
    Il doit être absent, oui.

    J’aime votre façon d’écrire et ce que vous dîtes me paraît toujours censé, et me parle…
    J’en arrive à me sentir mieux chez vous que chez moi…
    Bien amicalement,
    A.

    1. Merci pour vos mots qui me vont droit au cœur. Parfois, comme vous, je me pose la question de l’opportunité de livrer quelque chose de soi dans un blog car les malentendus ne sont jamais bien loin – proportionnels d’ailleurs au degré de sincérité que l’on se fixe… Néanmoins il suffit d’un regard compréhensif, bienveillant voire même affinitaire pour que ces doutes ou perplexités disparaissent. Alors, « hold on! » 🙂

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Patrick Corneau