Capture« L’air et l’exercice que prend le promeneur en plein air donnent à son palais une intensité différente, et il a très envie d’un fruit qu’un individu sédentaire trouverait âcre et acide. Ces fruits doivent être mangés dans les champs, lorsque l’exercice vous a stimulé le système, que le froid glacial vous pince les doigts, que le vent souffle avec fracas dans les ramures dénudées ou fait frissonner les quelques feuilles qui restent encore, et qu’on entend le geai pousser ses cris alentour. Ce qui paraît acide à la maison est rendu doux par une marche vivifiante. Il faudrait étiqueter ainsi certaines de ces pommes : ‘à consommer dans le vent’.

(…) Quand je vois un homme particulièrement misérable emportant au marché un chargement de belles pommes précoces odorantes, j’ai l’impression d’assister à une joute entre lui et son cheval, d’un côté, et les pommes, de l’autre; à mon avis, ce sont toujours les pommes qui gagnent. Pline dit que les pommes sont les objets les plus lourds, et que les bœufs se mettent à transpirer à la simple vue d’une charretée de pommes. Notre charretier commence de perdre son chargement dès le moment où il essaie de le transporter là où les pommes n’ont pas de raison d’être, c’est-à-dire dans tout lieu qui ne soit pas extrêmement beau. Il descend de temps en temps les toucher et il croit qu’elles sont toutes là, mais ce n’est qu’une apparence: je vois la vague de leurs vertus évanescentes et célestes s’élever de la charrette vers le ciel, tandis que seuls vont au marché la pulpe, la peau et le cœur du fruit. »
Henry D. Thoreau, Les Pommes sauvages, 1860 – Éditions Le mot et le reste, CollectionCapture Attitudes, 2013.

ferli4Les Pommes sauvages est une invitation à un voyage de et dans la proximité, une incitation à jouir de la magnificence de la banalité que l’homme pressé ne trouve plus que dans un exotisme fantasmé quand il n’est pas frelaté.

Illustration: photographie de Denis Collette/Flickr

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Patrick Corneau