hmorganoelC’est l’hiver. Dirk gronde encore, laissant derrière lui 240.000 Bretons boire leur lait ribot à la lueur d’une chandelle. A Paris, la pluie fouette les dernières colonnes Morris où l’on commente la récente blague du Président Normal avec son grand vizir et possible calife. Le ciel est bas, les clignotements des guirlandes luttent contre une fade lumière de fin d’année. Quelques Parisiens se pressent dans les magasins, une lettre au Père Noël chiffonnée au fond de leur poche. On dit que celui-ci est une sorte d’entité ‘welfare state’ mondiale avec plus de pouvoirs que Jean-Marc Ayrault et un regard plus jovial. Le blogueur au long cours quitte sa fenêtre et retourne à son clavier qu’il titille mollement à la recherche d’un message point trop mélancolique pour cette basse époque de plaintes et de récriminations… Pourquoi ne parlerait-il pas du BONHEUR? Il entend des voix se récrier derrière les écrans: quelle impudence! Quelle provocation! Ce mot n’est-il pas de nature pornographique?

« Et maintenant, je dois avouer l’impardonnable, le scandale, dans une période qui méprise DSC005780le bonheur: ‘Je suis heureux.’ Et je vais vous confier le secret de mon bonheur. Il est simple. J’aime autrui. J’aime aimer. Je hais la haine. Je m’efforce de comprendre et d’admettre. Tout spectacle m’offre un embarcadère par où je m’obstine à prendre le large afin de découvrir du neuf. Le succès d’un de mes camarades me réconforte, et j’observe avec surprise un univers où le succès que remporte un autre est une blessure. Je me base égoïstement sur cette vérité qu’une jolie femme brille davantage au milieu de jolies femmes que de laides. Ma solitude s’illumine par les feux qu’on dirige sur des œuvres que j’approuve et qu’on m’oppose. Je m’applique, si je désapprouve une œuvre, à y trouver ce qui pourrait me convaincre. Bref, je me félicite d’avoir été à l’école d’amitiés si nobles que leurs vertus avaient la puissance qu’on accorde d’habitude aux vices. À l’école de ceux qui aiment comme on déteste. À l’école de ceux qui ouvrent leur porte toute grande par crainte de refuser l’hôte inconnu.
Je suis pessimiste par optimisme, par la conviction que tout est mieux qu’il ne se présente, par un désir absolument fou de concorde.
Je n’ai plus l’âge où l’injustice est une loi de défense, où l’amour inquiète comme une maladie qu’il faut guérir coûte que coûte. Je suis à l’âge où je ne crains plus d’être envahi par plus fort que moi. Je cherche, au contraire, à recevoir le plus fort, royalement, comme un hôte. Et chaque soir, je me couche heureux si je n’ai nui d’aucune manière à mon prochain.
Ce secret de bonheur, je le donne à qui veut, avec le moyen de s’en servir, car il ne saurait se vendre et je connais encore des personnes chagrines qui supposent qu’on leur donne un secret pour les induire en erreur et qui, peut-être, y croiraient davantage si on le leur échangeait contre de l’argent. Or, des mains de ces personnes-là, mes livres tombent comme feuilles mortes. Je ne recherche qu’un public qui ne préjuge pas, qui ne se hérisse pas, qui ne se mette pas en garde. »
Jean Cocteau, « Aveu » in  Démarche d’un poète, Grasset, 2013.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

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Patrick Corneau