Un ami avait l’habitude de me dire qu’un livre publié est une « mauvaise nouvelle ». Par livre, il entendait un de ces pensums qu’un ami, confrère, collègue publie, lu par quelques spécialistes, qui donnera à son auteur une avance significative dans la course aux prébendes, sinécures et autres hochets universitaires.
Quand Jean Clair publie un livre c’est une mauvaise nouvelle pour la plupart, une bonne pour quelques-uns, je veux dire les quelques mélancoliques à tendance atrabilaire qui affectionnent le parler vrai, si désenchanteur fût-il. Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec Les derniers jours, récit d’un homme qui se retourne, revient dans le monde lointain de son enfance, des années de formation et dont la seule évocation a la puissante et terrible force vexatoire des choses irréparablement perdues. Jean Clair qui avoue que le déclin de l’école d’aujourd’hui lui « a retiré le goût de transmettre », nous transmet néanmoins le poignant témoignage (testament?) d’un esprit qui ne s’est pas agenouillé devant les veuleries de l’époque – essentiellement « Le refus de la France de reconnaître et sa méfiance à enseigner ses origines intellectuelles et spirituelles, la dénégation de son histoire et l’oubli de son passé, le mépris de la tradition de sa langue et l’ignorance des mots qui la composent ».
Ici pas d’indignations sur commande, d’emballements consensuels ni de concessions à l’ordre ambiant. Non, on trouvera plutôt la célébration de « vieilleries »: les murs, les frontières, le secret, la beauté (de la langue, de la peinture, des fleurs, de quelques pays ou paysages, etc.). Magnifique chapitre (« Le scrutateur ») où l’évocation d’une difficultueuse visite de la basilique Saint-Marc s’achève par ce constat amer: « La culture, c’est alors ce qui reste quand on ne croit plus en rien. Les dieux disparus, demeure, vide de toute présence, leur effigie. »
Plane sur ce livre une mélancolie dont Jean Clair avait donné en 1995 sa propre définition: « la conscience de l’homme d’aujourd’hui qu’aucune loi d’ensemble ne peut plus rabouter les éclats dispersés du visible et, par leur ordonnancement, nous délivrer le sens de leur présence ».
Beau, mélancolique et noblement édifiant.

Illustration: Éditions Gallimard.

  1. Luc Douillard says:

    Faut-il se complaire dans le délicieux deuil auto-réalisateur de tout principe transcendant qui donnait jadis une cohésion à la Cité ? Oui, nous sommes tentés par l’absurde et l’esthétique de la perte. Albert Camus l’avait déjà vu et avait proposé qu’on soit heureux cependant en résistant solitaire et solidaire pour la dignité humaine invaincue. Prenez soin de vous et bonne journée.

  2. louise blau says:

    Solitaire ET solidaire, oui, trois fois oui. La tentation des esprits brillants est, parfois, cette noire attirance pour la misanthropie ?

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Patrick Corneau