Hier je suis allé au Centre Chopin (Paris). Un vaste hall où s’étend une mer de pianos. Dans l’allée centrale, je croise un Noir qui, nettoyant dans une main, chiffons dans l’autre, s’active à faire briller le vernis sombre des pianos. De part et d’autre d’un bureau, deux jeunes-femmes plaisantent, j’entends « dossier crédit », « RIB »… La plus jeune se lève: « Est-ce que je peux vous aider? – Probablement ». Je m’enquiers des guitares. Il y en a, mais peu. La vendeuse se détourne: « Tintin? Où-c’est-que-le-monsieur-y-peut-avoir-plus-de-choix-en-guitares? » Surgissant entre deux pianos, Tintin avec une lueur d’évidence dans le regard: « A Pigalle! ».
Je déambule sous une lumière fade de néons. Les labels asiatiques dominent, Chinois, Coréens. Dans un coin les pièces d’occasion ont piètre mine: surtout du bois naturel, on dirait un échouage de buffets de grands-mères. Plus loin, une zone violemment éclairée par des spots signale l’espace noble réservé aux pianos à queue (Bechstein, Yamaha) et, semble-t-il, à une clientèle de professionnels. L’ébène brille de ses reflets mortels: on reste à distance. Parfois s’élève une note grave, c’est le chiffon de l’astiqueur qui dérape sur une touche… Dans le fond du magasin deux hommes sont figés derrière leurs ordinateurs. Silence. Je repasse devant le Noir aux chiffons, il lève la tête et esquisse un sourire. Une pensée malicieuse me vient: qui astiquait l’instrument de Chopin à Nohant?

Illustration: photographie ADTI/Galy

  1. Catherine Dupont says:

    Trouvé dans « anagrammes renversantes » (d’Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow) :
    « Aurore Dupin, baronne Dudevant, alias George Sand
    valsera d’abord au son du piano d’un génie étranger »
    (la deuxième ligne étant l’exacte et renversante anagramme de la première).
    Mais cela ne nous dit toujours pas qui astiquait quoi.
    Bien à vous,
    Catherine

Répondre à Catherine DupontAnnuler la réponse.

Patrick Corneau