La voie des égarés, loin de la route sûre, célébrée ici par la plume, délicate, aérienne et si profondément poétique de Vincent Hein:

« Dans Le Bruit de la neige, Gilles Lapouge raconte qu’un millier de cygnes, de canards et de pipits des prés s’établissent chaque année en Islande sur les rives du lac Myvatn. « J’ai ainsi appris, écrit-il, que ces oiseaux, quand ils quittent le lac Myvatn, à la fin de l’été, grimpent jusqu’au haut du ciel. Là, ils se mettent à la recherche d’un vent. Quand ils ont repéré ce vent, ils montent dedans, un peu comme nous prenons un métro ou un tramway. Ce stratagème permet au cygne de gagner l’Écosse en vingt-quatre heures. Par le même moyen, la sterne arctique parcourt 30 000 km chaque année. Les paysans islandais ont ajouté cette précision que certains passereaux, quand ils ont trouvé leur vent, s’endorment et naviguent, les yeux clos, jusqu’à leur résidence d’hiver. » Mais parfois certains d’entre eux se trompent de vent, raconte-t-il. Ils pensent se réveiller au Pérou, alors qu’ils atterrissent sur une dune, dans un désert d’Arabie. « On les appelle ‘les égarés’, S’ils veulent rentrer dans le droit chemin, ils doivent remonter au ciel et changer de vent comme nous changeons de train. » Je me sens comme ces oiseaux distraits et sans boussole. J’ai été déposé ici par hasard, par fortune et par ce vent laborieux dont j’ignore jusqu’au nom. Je suis cependant sans envie de reprendre le droit chemin. Cette vie de migrations et d’incertitudes me convient parfaitement. Les voies toutes tracées me vont mal, m’inquiètent, me pervertissent. Elles conduisent trop vite à la fin. Elles manquent d’insolence, de fantaisie, de passions essentielles et, finalement, d’absolu. »
L’arbre à singes : Carnets d’Asie de Vincent Hein, Arléa, mai 2013.

Cette vaste expérience sensorielle vécue sur le continent asiatique se conclut par ce proverbe japonais propre à réjouir les « égarés »: Even monkeys fall from trees.

Illustration: Editions Arléa.

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Patrick Corneau