En mélancolie, Henri de Régnier (« Monsieur Spleen ») était un expert (« Vivre avilit. »), ses réflexions sont remarquables, tout comme les commentaires de Bernard Quiriny.


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Ennuyé professionnel, spécialiste de la question, Régnier théorise son spleen, et construit une distinction entre la tristesse et l’ennui. De loin, les deux notions se ressemblent, mais il les différencie soigneusement. Considérons ces trois notes (extraites de Les Cahiers inédits):
1° « J’aime la tristesse et je hais l’ennui. La tristesse, c’est l’être qui se replie à l’intérieur et constate son malheur ou son infériorité. L’ennui, c’est l’être qui voltige à l’extérieur, comme chassé de sa conscience et souffre des choses plus que de lui-même. »

2° « L’ennui est un désaccord entre nous et les choses; la tristesse est un désaccord avec nous-même. »
3° « La tristesse enveloppe, l’ennui pénètre. »

La tristesse est dans l’ordre poétique; elle n’est pas gênante. C’est un état valable, honorable même, où on peut se sentir « bien ». En langage ordinaire, on parlerait de mélancolie. Ou de spleen. Un recul, une distance. L’ennui, c’est autre chose; l’ennui ne stimule pas le poète, il embarrasse l’homme, et rend la vie impossible. Il ne touche pas la littérature mais la vie, empêchant la littérature puisque écrire est un acte de la vie. L’ennui conduit au dégoût, stade préparatoire aux solutions viriles. Régnier va loin sur cette pente, « le dégoût de moi-même et un désir de souiller qui me fait désirer le sommeil ». Il écrit: « Je vis sans espoir de vivre. »
Pour s’oublier, il sort, remplit sa vie, s’occupe de futilités. Solution classique, que nous pratiquons tous à notre manière, par exemple en nous abrutissant de travail pour éviter de penser. Ou en courant les magasins, qu’on voudrait fréquenter même le dimanche, jour délicat qu’il faut actuellement passer à la maison, à ne rien faire. (C’était autrefois le jour normal pour se retourner vers soi et réfléchir à des choses élevées, puisqu’on allait à la messe. Tâche de plus en plus difficile à mesure que le monde perd son sens: le gouffre à contempler est à présent trop large. Alors, on réclame à la place de faire du shopping.)

Mais peut-être la sagesse d’accepter tout cela vient-elle avec l’âge? »
Bernard Quiriny, Monsieur Spleen: Notes sur Henri de Régnier, suivi d’un Dictionnaire des maniaques, Éditions du Seuil.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. brindamour says:

    Cette analyse est intéressante mais je suppose qu’elle ne correspond pas à tout le monde.
    Cioran a longuement théorisé son ennui et je crois que c’était un homme gai.
    En ce qui me concerne, mon ennui profond, c’est-à-dire mon désaccord entre moi et les choses me remplit de tristesse.

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Patrick Corneau