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« Être seul avec quelqu’un est un art de vivre »

« La capacité d’être seul s’édifie selon des strates successives. La liberté, l’indépendance changent de nature selon les âges. La plus ancienne de ces strates, que j’appellerais celle de l' »avant-monde » ou de l' »avant-moi », est l’assise de toutes les autres. C’est la plus mystérieuse, car elle appartient, comme disait Chateaubriand, « à l’âge où la vie n’a pas de souvenir et apparaît de loin comme un songe ». Son fond d’inconnaissable en fait le réceptacle de nos fantasmes, et c’est déjà une hypothèse hasardeuse que d’avancer que c’est elle que l’on retrouve dans la quiétude mystique. La suspension du discours intérieur, l’abolition temporaire des frontières du moi correspondent-elles à la résurgence d’un état antérieur, un état primitif de la subjectivité?
C’était l’avis de Freud, pour qui rien de ce qui a existé un jour dans la vie psychique n’est jamais totalement anéanti. « Tout est conservé d’une manière ou d’une autre et peut reparaître dans des circonstances favorables. » J’aime aussi à penser que cet état est bien notre première patrie. L’infini, disait Michaux, à tout homme dit quelque chose de fondamental, parce qu’il en vient.
Par la suite, la capacité d’être seul en présence de la mère sera ce qui fonde pour la vie le bonheur d’avoir quelqu’un à nos côtés, quelqu’un qui nous laisse penser à loisir, libre et solitaire dans notre coin. Être seul avec quelqu’un est un art de vivre qui remonte à loin, à une époque, cependant, dont on garde le souvenir. L’espace qui se crée alors, que Winnicott appelle l’espace du jeu, est celui de l’artiste ou du philosophe, ou du bricoleur. Chacun le connaît, il est à notre disposition tout au long de la vie. »
Catherine Millot, O solitude, Ed. Gallimard, coll. L’infini/Folio 5541.


Un petit livre qui ravira les esprits pas encore acquis à l' »être-ensemble » sur fond de morale…

Illustration: Editions Gallimard

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Patrick Corneau