« Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, brico­lait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogram­mait ma mémoire. Il est évident que je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que cela devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rare­ment le cas. Désormais, ma concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte. Or la concentration et l’attention indiquent notre capacité à contrôler notre propre esprit, plutôt que de laisser des stimuli extérieurs guider nos pensées. Se concentrer, c’est décider de réfléchir. C’est l’une des grandes luttes de l’être humain (contrôler son esprit, ses efforts, ses pensées). J’ai pu observer en moi-même que le Net a atteint ce contrôle. Il crée un environnement artificiel qui est incroyablement riche en distrac­tions. La technologie commence à déterminer où va notre attention. »

Ce constat c’est exactement le mien! C’est ma propre expérience de lecteur « au long cours » qui n’arrive plus à tenir la ligne, dont l’attention s’effrite, se dilue… et c’est, peut-être, aussi la vôtre (?). La pratique du Net érode progressivement notre capacité de concentration. Nous ne sommes plus que dispersion, agitation, esprits affolés, gavés d’informations, flottant dans un zapping permanent (entre la page papier et l’iPad à portée de doigt où je cherche références, définitions, explications, etc.). Grave! Ce cri d’alarme vient de l’Américain Nicholas Carr lequel s’est fait ces dernières années la Cassandre des nouvelles technologies, dont il critique l’impact cognitif avec brio. Il est l’auteur de Big Switch, de Does It Matter? et de The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains, qui fut sélectionné pour le prix Pulitzer 2011 et salué par la critique. Il vient de donner un entretien passionnant (réalisé par Cécilia Gabizon) à La Revue des Deux Mondes, janvier 2013: « Notre perception rétrécit » et dont vous pouvez lire le texte intégral ici.

Illustration: Photographie de Paul Dzik.

  1. Cédric says:

    Intéressant. Merci.

    Ce que je dis, c’est que devant dix, un millier, un million ou un milliard d’informations, l’homme libre reste libre.

    L’homme libre décide d’allumer ou d’éteindre, d’écouter ou pas, de lire ou pas. L’homme perdu s’agite quel que soit le nombre d’informations.

    L’homme libre sait. L’homme perdu veut savoir. Voilà la différence fondamentale.
    Celui qui s’agite ferait mieux de se regarder lui-même, de tourner son regard vers l’intérieur.

    La différence entre le sage et l’agité, c’est la direction vers laquelle ils regardent : le premier regarde vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur…

    Ah oui, je vous signale un doublon : « riche en en distrac­tions. » qui n’est pas de votre fait cher Lorgnon, je l’ai trouvé également dans le texte intégral dont vous donnez le lien. ( des dangers du copier-coller ! 😉 )

    Bien à vous et au plaisir ! 🙂

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Patrick Corneau