« Sachez tirer parti de la laideur elle-même; de la vôtre, cela est trop facile; tout le monde sait que Trenk, la Gueule brûlée, était adoré des femmes; de la sienne! Voilà qui est plus rare et plus beau, mais que l’association des idées rendra facile et naturel. Je suppose votre idole malade. Sa beauté a disparu sous l’affreuse croûte de la petite vérole, comme la verdure sous les lourdes glaces de l’hiver. Encore ému par les longues angoisses et les alternatives de la maladie, vous contemplez avec tristesse le stigmate ineffaçable sur le corps de la chère convalescente; vous entendez subitement résonner à vos oreilles un air mourant exécuté par l’archet délirant de Paganini, et cet air sympathique vous parle de vous-même, et semble vous raconter tout votre poème intérieur d’espérances perdues. Dès lors, les traces de petite vérole feront partie de votre bonheur, et chanteront toujours à votre regard attendri l’air mystérieux de Paganini. Elles seront désormais non seulement un objet de douce sympathie, mais encore de volupté physique, si toutefois vous êtes un de ces esprits sensibles pour qui la beauté est surtout la promesse du bonheur. »
Charles Baudelaire, Choix de maximes consolantes sur l’amour (in Le Corsaire-Satan, 3 mars 1846).

Pas moins surprenant que cette photographie de Florence Henri, ce texte de Baudelaire sur la fascination que peut exercer une certaine laideur rédimée par la musique (une prescience de l’épisode Vinteuil chez Proust?).

Illustration: « Femme grêlée » (vers 1930), photographie de Florence Henri, 1893-1982 [visible actuellement à la BNF dans la remarquable exposition « La photographie en cent chefs-d’œuvre », 13 novembre 2012 au 17 février 2013 / site François-Mitterrand / Galerie François Ier].

  1. Virginie - Le chêne parlant says:

    Baudelaire et l’infinie intériorité des mots…
    Cette sculpture photographique aux yeux dépouillés de lumière.

    Magnifique partage, merci cher Lorgnon.

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Patrick Corneau