Avant-hier je suis allé voir l’exposition Hopper. Je n’en parlerai pas car tout le monde (jusqu’au dernier blogueur de Selles-sur-Cher) l’a fait. Et puis j’ai les tympans percés par tous les « Extraaaaaordinaire! », « MA-GNI-FIQUE! » entendus sur ce parcours du combattant culturel. Pour me libérer de toute cette austère peinture WASP (je préfère Andrew Wyeth, curieusement absent des premières salles), je suis allé à la foire. Je veux dire l’édition 2012 de la FIAC. Je voulais entrer avenue Winston Churchill comme le vulgum pecus et puis, non, on me fait comprendre que je serai admis par l’entrée VIP, c’est-à-dire côté avenue du Général Eisenhower, par la « petite-grande porte ». J’entre donc avec trois jeunes Chinoises ou Japonaises hurlant dans leurs portables et toisant de haut le petit personnel (Chinoises sûrement car les Japonaises ne hurlent pas, elles sourient en portant leur main devant leur bouche). L’entrée VIP c’est tapis rouge et sourires d’hôtesses calibrées Crazy Horse, fleurs, luxe, calme et volupté. Un dernier contrôle par un éphèbe droit sorti d’une série de téléréalité, on m’ouvre la porte sur la Grande Verrière où, sortant de la semi-obscurité de ce tunnel à VIP, la lumière me fait un peu chanceler: ET FIAC LUX! Je découvre alors tout ce que la Terre recèle de merveilles chatoyantes et esbaudissantes encoconnées dans des stands venus des cinq coins de la planète: Londres, Paris, New York, Tokyo, São Paulo, Zurich… Une foule aussi dense que celle de la Place du Tertre au mois de juillet circule dans les travées et s’aventure dans les stands précédée par son smartphone: personne ne regarde, tout le monde photographie. Pris par cette folie mimétique, je dégaine mon iPhone et j’avance tel Diogène déambulant dans Athènes avec sa bougie: Je cherche une œuvre… En fait, j’ai plutôt le sentiment d’être dans le quartier réservé d’Amsterdam: les galeristes (plutôt des femmes) attendent placidement au fond de profonds sofas, le kollektionneur (plutôt un homme) attiré moins par l’odeur de la peinture fraîche que le fumet de la spéculation… Le kollektionneur se reconnaît à sa tenue chic-artiste subtilement tendance, il est suivi par une dame blonde, quarantenaire, reconstruite en spa, en équilibre sur de très hauts talons et promenant son sac Hermès comme un chien en laisse. Parfois, il faut s’écarter pour laisser passer une horde de collégiens bruyants derrière un guide officiel, car la FIAC se visite – comme Louxor. Un peu à l’écart il y a des tables où l’on peut s’asseoir, commenter, négocier, je repère une première victime (« L’art contemporain m’a tuer »), normal en ce lieu de tous les excès. Très vite, la profusion des œuvres, le disparate, je sature, la tête me bourdonne, j’ai le cœur nauséeux. Je gagne la sortie, débouche sur le parvis Avenue Winston Churchill, l’air frais venant de la Seine toute proche me ragaillardit. En face, sur la façade du Petit Palais, une immense affiche: Dieu(x) modes d’emploi. Du 25 octobre au 3 février 2013. Bon, tout va bien. Je songe aux protestations soulevées par les terroristes installés dans le nord du Mali qui détruisent des monuments jusque-là considérés comme patrimoine de l’Humanité au nom d’un dieu plus pur que pur; ici, il ne viendrait à l’idée de personne de chasser les marchands du temple…

Une foire d’art est à la culture ce que les marchés aux poissons sont aux musées océanographiques. Sheila Leirner

Parcours photographique: IIIIII

Illustrations: photographies et vidéo ©Lelorgnomélancolique.

  1. V. says:

    Merci pour votre compte-rendu cher Monsieur du Lorgnon. J’avais écrit en 2010 un petit topo sur ma visite à la ici (en particulier le pseudo « off » organisé à part par des galeristes non officiels)…

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Patrick Corneau