La MEP (Maison Européenne de la Photographie) présente jusqu’au 4 novembre deux photographes dont la proximité d’un étage à l’autre ne fait qu’accentuer l’écart esthétique, la dissemblance de vision, et même, la foncière antipathie*. A l’étage +3, Alice Springs, l’épouse d’Helmut Newton, propose des clichés publicitaires réalisés pour le label d’un célèbre coiffeur et des photographies de mode dans un style glamour « soft » platement décalqué de celui de son mari, sans les scénographies vulgaires et la misogynie latente de ce dernier. On défile devant une multitude de portraits d’artistes, de musiciens et d’acteurs, tout le gotha « pipeul » des années soixante-dix/quatre-vingt avec lequel on nous dit que la photographe « dessine une connivence implicite, une complicité spirituelle » mais dont la froideur professionnelle nous souffle la prosaïque intention commerciale et la pure vanité mondaine.

A l’étage +2, Claude Nori, photographe ET éditeur. D’emblée le monde se réchauffe, la vie afflue avec une œuvre s’attachant à cultiver le goût du bonheur, de la liberté et de l’amour dans l’exercice permanent d’un « flirt photographique » avec le monde et, surtout, avec les femmes sur lesquelles Claude Nori porte un regard non de dragueur ou de voyeur, mais tout empreint de malicieuse tendresse. Si  l’exposition met en parallèle l’aventure éditoriale et l’œuvre personnelle de Claude Nori, l’ensemble restitue admirablement l’ambiance incroyablement créative de cette époque où tout semblait possible et permis. On ressort quelque peu nostalgique quand on pense à la qualité des auteurs révélés par les éditions Contrejour: Bernard Plossu, Mario Giacomelli, Marc Garanger, Sebastia Salgado… Indice révélateur de la proximité chaleureuse de Claude Nori avec le public: ses commentaires manuscrits dans les vitrines où il explique sans apprêts, et souvent avec humour, ses intentions et sa démarche. Esprit de simplicité et de connivence qu’apprécie le public qui le lui rend à sa manière dans la photographie ci-dessus où des visiteurs ont commencé à graffiter au feutre (sur le verre protecteur du tirage) le plâtre de cette belle italienne au sourire rayonnant. Une appropriation complice via un détournement « sauvage » qui pourrait se poursuivre tout le long de l’exposition (si la MEP ne censure pas) et qui enchantera sûrement Claude Nori.

*Exprimée avec netteté dans l’extraordinaire numéro d’Apostrophe (projeté dans l’exposition) où Bernard Pivot avait invité Susan Sontag à s’entretenir avec Robert Doisneau, Hans Silvester, Marc Riboud, Helmut Newton et Claude Nori qui venait de publier son Histoire de la photographie française.

Illustrations: Le « cher Canon auto-focus » de Claude Nori /©Lelorgnonmélancolique

  1. DUGE says:

    Mon cher Patrick, je ne peux pâs vous laisser dire n’importe quoi.

    En vous lisant, notamment, à propos de l’oeuvre d’Alice Springs, j’ai l’impression que vous ne l’aimez pas du fait de son interêt pour les gens un tant soi peu connus.
    Je pense sincèrement que c’est une très mauvaise raison. Dans ce cas, il faudait enterrer aussi le travail de Nadar. Pour ma part, je trouve que le travail d’Alice Springs n’est pas si mauvais que cela bien qu’il souffre comme vous l’avez signalé de la mise sous influence de son célebre mari.
    Quant à parler de vulgarité et de misogynie latente pour les photos d’Helmut Newton, permettez-moi de vous dire, que vous n’avez rien compris au film.
    Je vous invite, derechef, à vous précipiter à la librairie de la MEP ou sur la mezzanine de mon ami Olivier, pour y consulter et mieux appréhender l’étendue du talent de cet homme drôle et élégant (je parle d’Helmut, pas d’Olivier).
    Excusez-moi de m’être un peu emporté.
    Cordialement

    1. Merci pour votre commentaire très direct (ce dont vous n’avez pas à vous excuser), mais les questions de goût sont insolubles… Je persiste et signe, je n’aime pas l’univers d’Helmut Newton (antipathie confirmée par la visite à sa grande (et mégalomaniaque) rétrospective, cet été, au Grand Palais) car j’ai la faiblesse de penser que, même chez un photographe « esthète », le style est une éthique, et celle qui s’exprime là ne m’enchante guère… Bien à vous.

  2. DUGE says:

    Permettez-moi de continuer cet échange mais j’ai du mal à comprendre vote raisonnement, notamment cette phrase (un peu définitive) « le style est une éthique ».

    1. Le style, c’est l’homme même, disait Pascal… Désolé, impossible de développer: c’est toute la littérature qu’il faudrait citer… Certains de mes billets passés concernent la question du style (de manière directe et indirecte). 🙂

  3. DUGE says:

    D’autres ont aussi dit que le commencement du style annonçait la fin du talent.
    Il est clair que nous avons un avis opposé sur l’oeuvre de Newton mais je pense vraiment que le procès que vous lui faites est un peu disproprtionné (vulgarité, misogynie, mégalomanie …) et qu’en prenant un peu trop les choses au premier degré vous tombiez dans le piège de la provocation que Newton tendait à ses futurs détracteurs.
    Les photos de Newton (que Lamarche-Vadel aimait tant) m’étonnent constamment, me surprennent en permanence, me font rire ou sourire ou m’émerveillent comme ces portraits d’Ava Gardner, de Catherine Deneuve, de Charlotte Rampling ou bien cet incroyable image de Le Pen trônant avec ses molosses dans un pastiche d’un portrait d’Hitler. Quant à ses « grands nus » qui lui ont été inspirés par les photographies des terroristes allemands, c’est tout simplement ce que j’aurais aimé faire si j’avais été un « vrai photographe ». Non vraiment, nous ne nous comprenons pas mais cela n’a aucune importance. Mon ami, Olivier Verley m’a fait découvrir votre blog et votre univers. Il est de qualité et je vais essayer de m’y intéresser sans trop vous importunez avec mes commentaires partisans. Bien à vous. Bruno DUGIMONT.

    1. Votre passion pour H. Newton (« je me suis imaginé en assistant d’Helmut Newton mais finalement, je suis resté à ma place, celle d’un petit photographe du dimanche ») me pousse à réviser mon jugement, peut-être un peu excessif. En tous les cas, merci de vos visites, il y aura sûrement des sujets d’accord dans les billets à venir… 😉

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Patrick Corneau