Le ridicule petit ballet d’acteurs sous masques qui plonge La Mouette de Tchekhov mise en scène par Arthur Nauzyciel à Avignon dans un océan d’ennui perlé de nappes de mazout… Je n’étais pas le mille huit cent unième pigeon à regarder cette affligeante et prétentieuse production (généreusement offerte en direct au bon peuple en vacances sur France2 mardi soir) car j’ai éteint mon téléviseur au bout de 30 minutes…
Quand on n’a rien à dire d’un texte et qu’on est un de ces soi-disant intellos qui veulent faire parler d’eux à tout prix, on fait un spectacle dit TOTAL qui ressemble un peu à du cinéma, vaguement à du ballet, beaucoup à de l’opéra, sur une scène où l’on « installe » un décor destroy façon Palais de Tokyo. Bref, plus de registre, plus de frontières: c’est trans-genre, c’est tendance* et, forcément génialement original! Surtout on réduit une palette d’acteurs brillantissimes à n’être que d’insupportables marionnettes expressionnistes, des pantins que l’on surcharge de signes « intertextuels » pour impressionner les gogos.
Rideau (qui n’existe plus)! Il n’y a plus qu’à se mettre en quête d’un théâtre pauvre et pur, d’un metteur en scène qui serve l’œuvre avec probité, sans se servir d’elle pour exhiber une… « géniale originalité ».

*Voir l’article de Pierre Cormary, « Bayreuth – Hollywood, même combat! L’opéra, comme le cinéma, c’est mieux à la télé », Causeur, 22 juillet 2012.

Illustration: extrait (6 min.) de la « soirée théâtrale » de France2

  1. Frédéric Schiffter says:

    « Il n’y a plus qu’à se mettre en quête d’un théâtre pauvre et pur, d’un metteur en scène qui serve l’œuvre avec probité, sans se servir d’elle pour exhiber une… « géniale originalité ». » Encore le syndrome — preuve de bonne santé intellectuelle — de l’Âge d’or, cher Lorgnon.

    1. Oui, Cher Frédéric Schiffter, et quitte à en rajouter une couche sur le « grand air » de la nostalgie, j’aime cette (tragique) devise de Jérôme Leroy: « Je n’ai jamais dit que c’était mieux avant, j’ai dit que c’était pire maintenant. » 🙂

  2. Cloé says:

    Vous avez parfaitement raison ! je vous soutiens sur toute la ligne ! ..d’autant que ce théâtre pauvre et pur, dont vous parlez, je l’ai connu, j’y ai participé modestement, et j’ai vu joué une Mouette, dans une cave parisienne, une Mouette underground, donc, dans tous les sens du terme, mise en scène avec passion dans le respect de l’œuvre et de l’humanité des acteurs (comment jouer Tchekhov autrement d’ailleurs puisque tout son théâtre est fait de cette proximité, de cet amour pour les gens ordinaires) et je me rends compte de plus en plus que ce que j’ai vu ce soir là était rare et précieux…. « Je suis une Mouette… non… je suis une actrice. »…. solitaire et désespérée.

  3. Virginie - Le chêne parlant says:

    Je vous trouve un peu dur cher Lorgnon, car enfin, l’art – l’art contemporain a sa part de mystère.
    Une composition grandiose, admirée par de fins connaisseurs – intellargents – très au fait du sens des choses mais surtout de leurs valeurs.
    Car voyez-vous, pour pénétrer ces œuvres, il faut avoir de la finance d’esprit.
    Rester ouvert. ‘Aware’.
    Savoir s’imbiber d’âneries dans toute la largeur de la sottise, dans toute la longueur des inepties, bref s’inculter d’absurdités bourgeoises jusqu’à plus de spiritualité.

    C’est le degré ultime du jugement vaniteux, il est clair qu’on en fait « un très bon marché ». [Voltaire, Correspondance]

    Ce sont de fins connaisseurs en inculture.

    La photo la plus chère du monde vendue plus de 4 millions de dollars.
    Rhein II (aux dimensions colossales: 155,6 x 308,6 cm)
    http://www.focus-numerique.com/photo-chere-monde-vendue-4-millions-dollars-news-2914.html

    Bonnes vacances à vous.

  4. Frédéric Schiffter says:

    Cher Lorgnon,

    Grâce à vous, je viens de passer un délicieux moment sur le blogue du Schtroumph émergent. Nicole Esterolle — j’espère qu’il s’agit bien d’une dame —nous venge.

    Merci.

    1. Oui (avec h ou f) ce blog est revigorant! Je ne sais si cette dame en est une ou un pseudo?! Le texte sur Catherine M. est un régal. Haut les cœurs, la résistance à la bêtise contemporaine s’organise! P. Muray pas mort…

  5. Cloé says:

    « Si le théâtre oublie sa pensée théâtrale au profit d’une théâtralité des essences, c’est-à-dire des signes, des effets, des simulacres, des esthétiques, des formalisations, des idéologies, si le théâtre devient une représentativité du seul texte, si la mise en scène devient l’oubli de la dénégation d’une mise en œuvre, c’est-à-dire l’illustration scénique d’une interprétation qui se détache de l’œuvre plus encore, c’est-à-dire la négation du travail vivant de l’écriture, l’acteur perd alors sa « personne », son être, son âme, son sacré, c’est à dire la possibilité qu’il a d’examiner sa vie, et psychiquement sa vie reconstituée dans une autre vie – ce qui est encore et avant tout un culte – au profit de l’idolâtrie de l’anonymat (…) l’acteur devient alors un être séparé ou plus justement disjoint de la vie du théâtre en action, plus encore de sa propre vie, comme modeste élément singulier qui, par sa singularité, nous concerne tous, voire nous transcende tous. L’acteur devient alors, encore une fois, un singe savant, un manducateur du texte, un acrobate insignifiant »
    Jean Gillibert : l’Acteur en Création.

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Patrick Corneau