Commentant (et regrettant) que le poète Henri Michaux se soit senti à la fin de sa vie « dans l’obligation morale » de censurer*  la version originale d’Un barbare en Asie, et ait abandonné, voire renié, une certaine alacrité, spontanéité propre à sa « belgitude », Simon Leys écrit:

« Un Belge arrogant est une contradiction dans les termes – une notion dont le seul énoncé fait rire. Mais pour un Français, l’arrogance est un soupçon dont il faut constamment se protéger. À l’étranger, au milieu d’indigènes déshérités, le Français est souvent amené, bon gré mal gré, à promener son identité nationale comme une sorte de saint-sacrement qu’il s’agit de ne point déshonorer. »
Et d’ajouter une note, qui n’est pas moins tendre:
« Chateaubriand (qui n’était pourtant pas un imbécile) nous donne un éloquent exemple de cette conscience nationale: durant la retraite de l’armée des Princes (dans les rangs de laquelle il s’était engagé comme volontaire), blessé et malade, il tomba en bordure de la route, près de Namur, de braves paysannes wallonnes le recueillirent et le soignèrent – et notre vicomte de constater: ‘Je m’aperçus que ces femmes me traitaient avec une sorte de respect et de déférence: il y a dans la nature du Français quelque chose de supérieur et de délicat que les autres peuples reconnaissent’ (Mémoires d’outre-tombe, X, 2). On imagine mal Plume en voyage, qui aurait été amené à formuler une semblable réflexion. »
« Belgitude de Michaux », Le Studio de l’inutilité, Flammarion, 2012

*pour les besoins de la publication de ses Œuvres complètes en Pléiade.

Illustration: Arrogant Frog

  1. Rodrigue says:

    Il y a une spécificité française que l’on comprend après avoir vécu quelques années à l’étranger, en rentrant, et cette spécificité-là donne un peu la nausée…

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Patrick Corneau