Parce que de nombreux experts patentés et autres intelligences acérées et spécialisées (en gros des « imbéciles supérieurs » ou « idiots intelligents« ) n’arrêtent pas de nous seriner que les chiffres sont « irréfutables » et « implacables » (sans se demander à quel prix et pour combien de temps), il y a lieu de s’en méfier grandement et urgence à relire les notes pleines de scepticisme d’une autre intelligence, elle supérieurement lucide:
« … ces chiffres sont les nuées idéologiques de nos systèmes à la mode, l’art de les présenter annonce la détermination de ceux qui les emploient à nous donner le change. La statistique a la valeur d’une mystique et la plupart de ses fidèles la reçoivent à la manière du latin d’église, ils tomberaient même à genoux, les bras croisés sur la poitrine et les yeux clos, le changement de mode seul les en empêche et ce n’est pas l’envie qui leur en manque. J’avoue ne point y croire, les chiffres ne me persuadent guère, encore une fois, et c’est au tout ensemble que je fais allusion, à ce mouvement qui nous emporte et qui n’a d’issue qu’en soi-même, comme pour mieux nous égarer au plus fort de son ivresse. Sommes-nous ivres? Je le crois et le plus rare est que nous présumons d’une rigueur mathématique, très étrangère à l’esprit général qui nous anime, en somme nous ne nous concevons point, l’homme est devenu l’esclave de ses contenus mentaux. Et le moyen de nous défendre de ces contenus mentaux, lorsque l’incohérence nous gouverne? A quels aplombs nous référer? Quels repères? À quel système de poids et mesures? Tout flotte désormais et nous nous remuons au sein du flottement, dont nous nous accommodons au jour le jour, le flottement perpétuel est devenu notre alibi suprême et l’aboutissement de mille efforts auxquels la raison avait pourtant présidé. »
Albert Caraco, Essai sur les limites de l’esprit humain, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982.

Illustration: photographie France 2

  1. Ce François Langlet, auquel vous faites allusion sans le nommer, était devenu le gimmick de l’émission de France 2.

    Mais on sait bien que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres et aux statistiques, fussent-elles de l’Insee ou de l’OCDE.

    Par exemple, Sarkozy vante sans cesse le modèle allemand et son taux de chômage plus faible qu’en France, tout en oubliant de dire que les conditions drastiques imposées là-bas aux chômeurs (et dont il voudrait s’inspirer) expliquent cette différence, qui aboutit à une expansion de la pauvreté vers certaines classes sociales.

    Alors, plutôt que de parler d’ »idiots intelligents » – même s’il s’agit d’un… idiotisme – concernant ces experts auto-proclamés (leur parcours professionnel suffit à montrer vers quel bord ils penchent et se nourrissent), parlons ici des fameux « idiots utiles » : car il suffit de se demander à qui profitent, en dehors des vendeurs du logiciel PowerPoint, ces stats, courbes et avalanches de pourcentages…

    1. Ayant côtoyé (professionnellement) pendant 18 ans des statisticiens, je connais d’un peu près les usages du « mathématisme », ses avantages (certains) et malheureusement ses excès et ses dérives… J’ai vu, entre autres, comment l’association des « chiffres » et du PWP pouvait servir à dire tout et n’importe quoi, et manipuler mensongèrement les foules…

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Patrick Corneau