Cette « Philosophie du refus » que l’exquis Flaiano a placée sous l’égide du Bartleby de Melville me plaît bien et semble tout à fait d’actualité (bien qu’écrit au début des années 70!): en période de « positive attitude », le « I would prefer not to » du scribe Bartleby, plus qu’une formule, devient un vrai viatique pour temps de détresse.

« Agir comme l’écrivain Bartleby. Toujours préférer le refus. Ne pas répondre aux enquêtes, refuser les interviews, ne pas signer de pétition, car tout est ensuite utilisé contre vous dans une société clairement opposée à la liberté de l’individu qui favorise au contraire le laisser-aller, le milieu, la mafia, la camorra, le gouvernement des partis, qui fait obstacle à la recherche scientifique, à la culture, à une vie universitaire saine, qui est dominée par la Bureaucratie, la police, la recherche du mensonge, la tribu, les sorciers de la tribu, les filous, les grimpeurs méridionaux, les descendeurs nordistes, les centristes centripètes, l’Eglise, les serviles, les misérables, les avides de pouvoir à tous les niveaux, les convertis, les invertis, les anciens combattants, les mutilés, les électriciens, les gaziers, les étudiants recalés, les pornographes, les polygraphes, les escrocs, mystificateurs, auteurs et éditeurs. Refuser, mais sans expliquer la raison de son refus, car celle-ci serait également déformée, récupérée, réutilisée. Répondre simplement : non. Ne pas céder aux sirènes de la télévision. Ne pas se laisser pousser les cheveux, car ce signe extérieur entraîne une classification et votre action peut être neutralisée en fonction de ce signe. Ne pas chanter, car vos chansons peuvent plaire et être récupérées. Ne pas préférer l’amour à la guerre, parce que l’amour est aussi une invitation à la lutte. Ne pas préférer quoi que ce soit. Ne pas se rassembler avec ceux qui pensent comme vous, des milliers de non isolés sont plus efficaces que des millions de non regroupés. Tout groupe peut être frappé, récupéré, utilisé. Dans l’urne, déposez un bulletin blanc sur lequel vous aurez simplement inscrit : non. Ce sera notre méthode pour nous compter en secret. Un Non doit venir des profondeurs et effrayer les partisans du Oui. Lesquels se demanderont ce que nous n’apprécions pas dans leur optimisme. »

Illustration: photographie Flickr

  1. oniromancies says:

    A lire aussi sur ce sujet : « Mais la mer dit non »; l’excellent dernier livre d’Edith de la Héronnière (Isolato, 2011). Il y est question de personnages de fiction qui ont dit « non », dont le scribe de Melville, mais aussi d’Antigone de Sophocle, Montag (de « Fahreneit 451 ») et autres antihéros de livres… Voir le compte-rendu pour le prochain n° du Grognard, à paraître (n°21).

  2. Rodrigue says:

    Et si la fermeture radicale était le passage obligé pour une ouverture authentique à l’autre ? Condition de la véracité du rapport humain, humain cette fois.

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Patrick Corneau