Mais comme vous êtes le contraire d’un imbécile, après avoir fait infuser davantage vous reviendrez. Quand le son deviendra aigu, vous jetterez à nouveau une girafe à la mer!
Marquis de l’Orée

L’infusion venant à son terme et les sons ambiants étant saturés d’aigus, il est temps de « jeter une girafe à la mer » en ce 2012 balbutiant (année du chat et de la mouette rieuse). Mais avant de me livrer à ce délit délicieux, à tout seigneur tout honneur, j’ai le plaisir de publier (sans son insigne permission) le travelogue qu’a tenu la marquise de l’Orée (alias Alfonso, alias Une femme de cœur…) lors de cette traversée qui, de par son lautréamontesque compagnonnage (et celui de plus sages visiteurs), fut loin d’être un désert…

« Cette fin de traversée sans toi, mon Lorgnon, est ennuyeuse mais tellement captivante. Tous ces paquets de néants bleus autour de moi m’enivrent.
Mon lorgnon, toi et moi, nous savons comment toutes les traversées finissent. Je continuerai à traîner ici, sur ton blogue gisant, ma longue robe blanche pleine de bleus.

Ah ! Anna, faisons que ce blogue agonisant accompagne notre traversée. Je vous vois faire des petits signes sur le pont. Cela ne sert à rien. Lorgnon mélancolique aimerait ça.
Je me nourris presque exclusivement de blogue mort. Et celui-ci est excellent.

Le piolet ouvre la voie vers les sommets. Mourir asphyxié en gravissant le roc vaut tous les ravins du monde, dirait le contre-chinois à l’œil clair rebondissant sur les bons fonds. Et en maîtrisant l’usage de l’italique dans les commentaires, ce serait encore plus clair, je dois l’avouer, Monsieur Multiplexe. La fidélité des infidèles est sans failles. Hardi donc !

Axel Evigiran
Frédéric Schiffter
Une dispute
Un malentendu
Une rencontre
Une correspondance
Un début de roman
Une philosophie
Il semble qu’il se passe quelque chose là-bas.
L’horrible traversée prend des allures balnéaires.
Ce blogue mort bouge encore.
Vite, mon piolet.

Au 22ème jour de traversée, le poète Hugo de l’Estagnas nous a rejoints. La mer stagnait comme une flache. Les quatrains du poète sans qualités se déchaînaient mélancoliquement. C’est alors que je pris mon piolet pour les porter à ma bouche.
Les femmes de cœur naviguent toutes voiles dehors: au près serré.

Google Earth ne référence pas l’inquiétante île du Lorgnon. Et pourtant c’est bien au large de l’inquiétante île du Lorgnon que j’ai jeté par-dessus bord ma paire de bottes Biker Wash 4 Geronimo cuir Bleu Cobalt. Elles flottent modérément.

Hier soir l’écrivain Samuel Beckett nous a rejoint sur le pont 1. Il était encore possible de distinguer l’île du Lorgnon. Mais quand sa longue main blanche désigna deux biquettes de mer modérément immobiles sur l’océan, l’île avait disparu.

Nous étions deux ou trois petits démiurges sans qualités à scruter l’horizon lorsque le Baron de Large nous rejoignit.  « Le monstre de bois  », posé sur le pont principal, semblait vouloir nous dire quelque chose.
Lorsque le poète sans qualités Hugo de l’Estagnas se mis à déclamer quelques-uns de ses Quatrains de l’Esseulé, il était absolument seul et modérément mélancolique sur le pont 6 arrière. Quelques monstres délicats venaient se tortiller acrobatiquement à ses pieds faisant ressortir ainsi l’extravagante médiocrité de ses vers.
Elise rêvait en cabine qu’elle entendait des voix d’anges malades. A trois heures du matin l’ombre de l’île du Lorgnon glissa sur les figures pâles de tous les indolents compagnons de cordée. La Marquise de l’Orée décida qu’elle ne vieillirait plus.

Nous taperons sur la tête du mélancolique jusqu’à-ce qu’il nous dessaisisse en nous ressaisissant. Assommons les pauvres à l’occasion des fêtes.

En robe de faille rouge, la Duchesse de Pain s’installa dans la salle des machines et me dit : « Le Marquis de l’Orée maîtrise l’art de l’italique dans les commentaires, ça va chauffer, Alfonso. »
Et moi, Alfonso, dans le secret de mon cœur je le savais déjà.
Et moi, Alfonso, in petto je le savais déjà.

Le chat tournait autour de l’île du Lorgnon avec la mélancolie du temps suspendu en plein vol. Plus il tournait et plus il avait les oreilles acérées. Son cœur battait fort, tant il connaissait la beauté des orages et des raz-de-marée qui menacent les rivages des mers étales. « Venez céans » dit subitement un squale à ultra-sons. Le chat réapparut alors et le mangea: poliment.
Le concept de Tentation du Lorgnon ou plus simplement le Lorgnonisme sera le thème de notre prochaine conférence qui aura lieu cet après-midi à 17 heures, Pont 8 arrière.
Hugo de l’Estagnas, Doctor S.

Grande salle d’armes du château de Plieux, nous y serons. Pouvez-vous réserver des ballots de foin pour trois paires d’oreilles (la brebis broutera le parc)? Les glissades n’étant pas encouragées dans les salles, nous y serons à l’aise.
En attendant de vous lire je vous prie de croire, cher monsieur, en l’adjonction de divers légumes lors de la cuisson du riz complet sur injonction de l’amazone à piolet.
P.S. : dites au Doctor S. que son intervention est très attendue par Vitamine, elle me l’a confirmé cette nuit.

En direct
Comment des fleurs peuvent-elles être anonymes et fielleuses ?
Longue digression sur ce thème par le poète Hugo de l’Estagnas qui semble-t-il est arrivé en avance.
Vitamine attend au premier rang pas in petto du tout.
Rater mieux encore se souvint in petto Hugo de l’Estagnas avant de regagner sa cabine.

Comme Samuel Beckett dans un clip de rap! dit un monsieur au fond de la salle croyant révéler la faille du système.
Lorgnon, mon doux Lorgnon, les oreilles de Zorglub sont également des îles, ajouta Madame Pain en étreignant le bel Alfonso.
Sardanapale! cria alors Pascal Salin au hasard, le sot.
C’est à proximité des grandes failles que deux ou trois petits anges aux membres tronçonnés rampèrent avec grâce vers je ne sais quoi. La puissance de l’italique rasséréna l’ange Arlette.
Dans la salle des machines, Trompette et Bataille, mes frères de Germinal, ne bronchèrent pas quand notre navire modérément mélancolique croisa le RMS St Helena.
Sur le pont arrière du St Helena étaient posés des hélicoptères en aluminium qui battaient des pales comme les éoliennes de nos campagnes.
A la barre du RMS, Vitamine gardait le cap sur l’Alaska, lorsque Monsieur Lorgnon, revenu après avoir ré-acérer, poussa la porte du poste de pilotage, … Oreilles!

Cher Doctor S.,
Votre conférence d’hier après-midi à bord du End of a melancholy affair sur le thème du señoritisme a été brillante. Peu importe que le thème originel était le lorgnonisme: vous avez carte blanche pour toutes les digressions.
Quoiqu’il en soit il n’en va pas de même pour le soi-disant poète qui vous accompagnait.
Ce Hugo de l’Etreintegnas ou quelque chose comme ça a eu un comportement inadmissible!
Tout à trac, le Colonel Vasquez se rappela la planche de Reiser (introuvable) concernant les vœux de bonne année. Monsieur Lorgnon, lui, tout à ses palmes, hésitait à regagner le large à la nage. Un parachute mordoré, voilà pour la parabole du Progrès mon vieux Vendredi. Capitaine, appareillons ! Fuyons ce réveillon fuligineux !

Le Doctor S. et princesse Vitamine s’étaient à peine rencontrés qu’ils s’embrassaient déjà sur le Pont 6 arrière du End of a melancholy affair. Décidément on peut embrasser très vite quelqu’un. Quelqu’un mais pas tout le monde, aurait pu dire in petto un écrivain principal modérément génial.

Des rhinocéros de mer nageaient les uns derrières les autres, accompagnant le mélancolique vaisseau, un peu à la manière de compagnons de cordée sans qualités.
Certains diront que les rhinocéros de mer n’existent pas. Eh bien moi, Alfonso, j’entendis clairement l’écrivain principal modérément génial leur répondre, pas in petto du tout : « C’est vrai ».
Vitamine et le Doctor S. ?, Je suis effondrée, dit Délurée. Qui mettra maintenant en pratique la dissolution de la Place du Tertre à la faveur de la décroissance néo-Keynésienne lorgnonienne ? Caramba! Encore un coup dans l’eau autour de l’île. Six ans de parachute, c’est long, surtout vers la fin.

Pendant ce temps, sous le sol moussu…

D’aucuns confondent encore Frédéric Lordon – économiste percutant – avec le Lorgnon mélancolique, mélancoliste percutant. Lordon n’est pas Lorgnon.
Monsieur Lorgnon occupe la cabine 123 Pont 6 arrière, avec vue sur la mer.
Frédéric Lordon occupe la cabine 123 Pont 6 avant, avec vue sur la mer.

Aujourd’hui à 18 heures le Doctor S. donnera une conférence sur le thème: Philosophie et poésie, à la loupe.

Des fleurs anonymes et fielleuses, aux reflets mordorés poussaient par plaques sur la coque rouillée exprès du End of melancholy affair.
Dans la salle des machines, Stanko tenait son père sur ses genoux esquintés.
Le End of free enterprise avançait tous feux éteints sur un océan torturé, mutilé, tronçonné, éclaté, vidé, épuisé, amputé, claqué, miné.

Bloguer est la forme la plus exquise de l’inconfort de vivre.
Mais avez-vous déjà éprouvé, cher Doctor S., la tentation du Lorgnon ?

Cette nuit-là, comme toutes les autres nuits, quelques passagers virent apparaître au Nord-Est du Pic du Lorgnon le terrifiant point d’interrogation. Tous se mirent à entonner la ritournelle du Lorgnon: « Le point nous voulons. La virgule nous aimons. Le point-virgule nous adorons. Le point d’interrogation nous fuyons. » Au même moment, dans la salle des machines du End of a melancholy affair, un steppenwolf léchait les plaies de ses pattes tronçonnées.

Les nominés du Pic tronçonné sont:
Nouvelles et Lorgnons pour rien
Lorgnon ou lointain intérieur
Maximes et Lorgnons
Le nid du Lorgnon
Syllogismes du Lorgnon
Ou Lorgnon… Ou Lorgnon…
Harold et Lorgnon
On vit un Lorgnon formidable
L’Ombilic du Lorgnon
Travailler plus pour gagner Lorgnon

L’année dernière j’ai choisi la mort. Cette année, va pour le farniente. C’est in petto que le célèbre Doctor S. se remémora la soirée des vœux modérés.
Maintenant, il regardait les crabes anonymes et fielleux agglutinés par milliers autour de la coque du End of a melancholy affair et qui ensanglantaient la mer. (…) »

Illustration: origine inconnue

  1. Cédric says:

    Heureux d’apprendre que la traversée de la non-envie (mer capricieuse) est bel et bien terminée (jusqu’à la prochaine s’entend) !

    Pour me mêler de ce qui ne me regarde pas (pour changer), sachez que le Marquis et Alfonso sont au moins deux êtres humains distincts (mais peut-être sont-ils bien plus) !

    P.S. : Il semblerait que vous  » ayez fait le Brésil  » ! C’est écrit sur votre chapeau ! Pas étonnant qu’il y ait de la samba dans l’air !

  2. Alfonso says:

    Cher Monsieur Lorgnon, permettez-moi d’écrire ici une liste de noms à dire à haute voix un peu comme dans Shakespeare à la bataille de *** :
    marquis de l’Orée compagnon de cordée, Frédéric Schiffter, philosophe sans qualités, doctor S., V., Corinne, JMT, delorée, La Schiffterina, baron Delarge, Duchesse de Pain, les chèvres de l’Orée, Stanko, le rhinocéros de l’orée, Monsieur Lorgnon, Jérôme Leroy, Arlette, Anne-Prospère Gogi-Prevel de Brinvilliers de l’Orée, Cédric, Une femme de coeur à la mâchoire carrée et avec piolet à la ceinture, le chevalier Axel Evigiran, les sumacs de Virginie, Vitamine, mon Lorgnon et le End of a melancholy affair en feu, la girafe modérée de l’Orée

  3. JMT says:

    A cat, a cat, my kingdom for a cat !
    Richard III, acte V, scène 7

    Ce retour est un feu d’artifice. Fabuleux !
    Très heureuse année à tous et à chacun.

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Patrick Corneau