« Mais en même temps qu’il mime l’extension de la domination technologique de la nature, le jouet reflète une capacité toujours plus réduite à maîtriser la technologie. Autrefois, à côté des petits soldats, des fusils miniature et autres jouets guerriers, il y avait le Meccano, la perceuse, le Petit Réparateur, évident complément des premiers selon la pédagogie des classes dominantes, qui n’était pas encore dissociée du profit. Aujourd’hui, les enfants manipulent avec une grande aisance des jouets électroniques, mais ils sont incapables de planter un clou, de serrer un boulon, d’effectuer la réparation la plus simple. Aucun enfant ne résistait à l’impulsion de démonter ses jouets pour en comprendre le fonctionnement. Aujourd’hui les jouets, ainsi qu’une quantité toujours plus grande d’objets de tous les jours, sont incompréhensibles non seulement aux enfants mais aux techniciens eux­-mêmes: expressément produits pour fournir des prestations aussi brillantes que brèves, ils sont destinés à succomber à la première défaillance, si minime soit-elle. On ne répare plus, on remplace. Les petits soldats d’autrefois étaient fabriqués en étain, les armes-jouets en bois et en fer-blanc; aujourd’hui tout est en plastique, ce qui permet d’imiter les originaux avec plus de minutie mais produit un effet hyperréaliste d’irréalité. Le super-pouvoir dont les enfants rêvent avec Big Jim (et la super-beauté, le super-raffinement de Barbie, avec la super-richesse qu’ils présupposent) est purement imaginaire. Rien ne donne mieux que l’arsenal illimité de Big Jim une idée de l’impuis­sance absolue, de l’obéissance mécanique au marché, de l’asservissement stupéfié, parfait. » Piergiorgio Bellocchio, extrait de « Jouets » in Nous sommes des zéros satisfaits, traduit de l’italien par Jean-Marc Mandosio, éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2011.

Alors que les médias commencent déjà à « chauffer » le public avec les cadeaux de Noël incontournables ou « tendance », j’entends déjà certains se récrier devant ce morceau effrontément « passéiste » (même si Barbie, Ken et Big Jim sont largement obsolètes), alors j’avancerai (et ferai mienne) cette tragique devise* de Jérôme Leroy: « Je n’ai jamais dit que c’était mieux avant, j’ai dit que c’était pire maintenant. »

*En réponse à ceux pour qui le « grand air » de la nostalgie est « profondément réactionnaire et casse-burne »…

  1. gmc says:

    ce n’est pas que ce soit réac ou casse-burne, mais chaque époque étant la même sous son vernis de surface, rien ne les distingue vraiment les unes des autres, si ce n’est l’échelle de valeurs de ceux qui professent en elles des différences qu’ils croient significatives; non, infantile serait plutôt le terme adéquat.
    soit dit en passant, « pire maintenant » revient en toute logique à « mieux avant », c’est pur sophisme que de voir là une quelconque différence.

  2. Rodrigue says:

    Pour répondre à « gmc ». Il est beaucoup trop facile de dire que tout est toujours pareil. Il existe une science qui s’appelle l’histoire qui montre qu’il a existé beaucoup de périodes depuis l’homme Habilis. Il est important de comprendre que l’instant présent n’est que la conséquence logique de ce qui a précédé. Paul Valéry a montré le premier que « les civilisations sont mortelles », c’est à dire qu’elles ont une naissance, une apogée, et une décadence ou plutôt la sénescence. Beaucoup sentent -et je suis de ceux-là- que nous sommes à la fin d’une très longue période, probablement initiée par le christianisme.Tout cela étant dit, sans aucune valeur morale. Et l’une des caractéristiques de cette période est le dépassement de la technique (qui peut réparer encore les objets courants ?) et l’importance du virtuel
    Ces deux choses n’étant pas particulièrement présentes au Moyen Age ou à la Renaissance. Nous vivons une époque sans pareil, dont très peu de monde peut concevoir le lendemain.

  3. gmc says:

    pour mémoire, cher rodrigue, les grecs avait attribué une muse à l’histoire…en tant qu’art de la fiction.
    civilisation et civilisé sont deux mots creux dénués de fondement autre que l’orgueil et la vanité que tout un chacun veut bien y inclure; ces mots sont nés au bon vieux temps de la traite des nègres (XVI et XVIIème s.) en opposition à sauvage. il est préférable d’utiliser le terme culture, au sens anthropologique du terme.
    la période actuelle est déchristianisée depuis bientôt deux siècles, elle n’est pas née avec le christianisme, elle est plutôt née en angleterre au 15ème s., tout est affaire de perspectives.
    d’autre part, cette « brillante » culture occidentale aboutit à la déification du profit sous toutes ses formes, à l’exclusion de tout autre valeur (au sens strict du terme); alors, ceci et quelques autres raisons tout aussi sympathiques (le génocide comme relation diplomatique favorite, par exemple) font qu’il n’y a (ou aura, au choix)aucun lieu de la regretter, pas plus qu’il n’y a lieu de regretter ses devancières.
    cela étant dit, ce qui suit n’est pas une phrase totalement imbécile: « tout change, mais rien ne change ».
    (j’ai du écrire un texte sur ça, si je le retrouve – sans garantie^^ -, je le posterai sous ce commentaire)

  4. gmc says:

    pas retrouvé, mais celui-ci peut faire l’affaire, d’une certaine manière:

    VITESSE D’ATMOSPHERE
    Le problème majeur de la vitesse, c’est qu’elle ne peut augmenter indéfiniment et, une fois dépassé le seuil de la vitesse luminique, le passant moyen est obligé à l’heure actuelle de s’asseoir et de contempler le paysage, activité certes agréable mais qui limite les performances olympiques qu’affectionne tout un chacun. Le comité s’est mis au travail ces derniers temps sur ce sujet car, en l’absence de structures indépendantes en matière de SAV de la vitesse, voire de bureaux de développement de cette discipline, il est tout à fait logique pour l’autorité responsable de définir une date d’introduction sur le marché d’une nouvelle technologie permettant à court ou moyen terme de pallier cette cruelle insuffisance. Cette innovation, majeure dans le domaine poétique qui constitue notre ordinaire, permettrait, d’une part, d’offrir des débouchés interstellaires à des franges de la population en mal d’ascenseur et, d’autre part, de récompenser celui de nos auteurs de science-fiction ayant eu la meilleure vision de ce projet en lui attribuant le titre de Bali – Magnifique en langage galactique – Verne des XXème et XXIème siècles. Il va de soi que ceci entraînera également, personne ne s’en plaindra, une recrudescence de la création poétique comme à chaque fois que nous avons opéré une modification sur le paysage technologique. Le comité s’est donné environ une centaine d’années pour mener à bien cette injection technique, il a de plus constaté que les instances poétiques étaient comme à l’accoutumée fort en avance sur ce projet. Si les bureaux d’étude ont déjà balisé le terrain de par leurs études de faisabilité, il est tout à fait possible que le délai initial soit amputé d’une ou deux décennies.

    1. Rodrigue says:

      Procédons par ordre cher gmc. L’histoire avait une muse. Oui, on peut constater que ce n’est pas une science exacte, comme la physique ou les mathématiques. Par ailleurs, l’histoire à l’époque grecque se concevait comme le récit d’une épopée, avec le coté légendaire indispensable. Le mot civilisation n’a aucune valeur morale comme vous semblez le supposer: il désigne une forme plus ou moins élaborée d’organisation sociale. On peut parler de civilisation aztèque, égyptienne avec les pharaons, grecque, chinoise. Vous semblez reprendre à votre compte les idées du XVIIIème concernant le soit disant sauvage. Je ne comprends pas le rapport avec la civilisation. La civilisation aztèque en était une, pourtant les conquistadors les ont considérés comme infra-humain; en faisant cela ils témoignaient des préjugés de leur époque… Pourquoi reprendre à votre compte ces idioties pour dire que la civilisation n’existe pas ou plutôt n’a pas existé ?
      Car je prétends que la civilisation occidentale a existé, même si elle est agonisante, que nous en soyons heureux ou malheureux.
      Votre point de vue semble mélanger des faits et des réactions totalement émotionnelles. Pour conclure je dirais, le coeur est mauvais conseillé de la connaissance

      1. gmc says:

        une civilisation n’existe pas en tant que telle hors de la vanité que suppose l’emploi de ce terme, vanité directement liée aux idées de celui qui l’emploie. encore une fois, en terme de signifiant, le mot le plus adéquat dans ce registre reste le terme culture dans son sens anthropologique, il a de plus le mérite de se positionner d’une manière neutre. le fait que son emploi soit volontairement omis au profit de celui de civilisation est loin d’être anecdotique^^
        personnellement, je me fous du sort des tribus exterminées par les différentes colonisations, elles sont mortes et enterrées depuis longtemps pour la plupart. de plus, dans l’occident contemporain, tout le monde – et plus spécifiquement dans la classe moyenne – se fout du sort réservé aux victimes actuelles des nouvelles formes d’oppression, hormis dans le cas où elles peuvent servir à s’auto-décerner des brevets de morale, donc….;-)
        si vous voulez voir là le fruit d’une quelconque émotion, libre à vous, bien qu’il semble que la nostalgie et la mélancolie soient plus proches d’une forme d’émotion que ce qui précède^^
        la connaissance, cher ami, est une plaie sur le flanc de la béatitude (on pourrait gloser à merveille sur ce que contient le terme connaissance dans l’emploi que vous lui affectez; dans un emploi autre, on pourrait dire que la connaissance mène à l’ignorance, une des formes de la béatitude ;-))

  5. racbouni says:

    « Nous vivons une époque sans pareil, dont très peu de monde peut concevoir le lendemain. »

    Je souscris volontiers à cette assertion. Mais je dirais carrément : dont personne ne peut concevoir le lendemain !

    Quant à au texte cité ici par notre cher lorgnon chagrin, il s’agit encore une fois d’ériger des préjugés pseudo anticonformistes en vérité, de la révolte purement esthétique (vous noterez d’ailleurs la récurrence de ce « truc » d’écrivain et de philosophe qui consiste grosso modo en ceci : « on dit que », « le dicton dit que », « les masses les médias disent que »… Mais moi, l’écrivain singulier, impertinent et original, attention, je ne suis pas d’accord, je professe le contraire, je suis à rebrousse poil, lisez moi ça un peu pour voir comme ma pensée s’oppose à la bêtise ambiante). Mais il y a ici une lourde omission qui fait que ce passage de Bellochio n’obtient pas mon adhésion de lecteur.

    Car, dame !, sur une planète où vivent plus de 7 milliards d’habitants, vous faites comment pour donner un tant soit peu de boulot aux humains si l’industrie mondiale ne manufacture que des biens d’équipements si solides qu’on en achète qu’un tous les 15 ans ? Nous sommes dans une ère de « masse massive », n’oublions pas, une ère où nous sommes à l’évidence trop nombreux, mais où personne ne se sent superflu et consentirait à faire place nette de son plein gré (je crève comme ça mes frères humains seront moins à l’étroit sur Terre). Et qui dit masse massive, dit mégatonnes de merde !! non ? Pour moi c’est inextricable.

  6. Lemon says:

    A la lecture du contenu et de la forme des commentaires ci-dessus, on en vient à souhaiter que la notion d’obsolescence programmée s’applique à la pensée. Théoriquement, nous ne devrions plus souffrir bien longtemps de ces navrantes considérations.

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Patrick Corneau