« À vrai dire, ainsi que je m’en faisais dangereuse­ment l’aveu dans le dernier volume paru de mon journal (Parti pris, Journal 2010, Fayard, 2011, p. 323-324.), ‘Je n’ai jamais pu comprendre comment l’égalité pouvait bien être compatible avec la morale. Dès lors que c’est de morale qu’il s’agit, et d’esthé­tique a fortiori [et d’éducation pareillement] – or ce sont là des champs qui constituent une proportion énorme du territoire de la pensée… -, l’égalité est absolument dépourvue de pertinence. Son domaine est purement politique. Elle est une invention toute politique, un défi intellectuel à l’observation et à la nature, une élaboration conceptuelle, très respec­table à ce titre, certes, un procédé, on serait tenté de dire un truc, pour avoir la paix. En tant que telle elle est d’ailleurs assez peu efficace, et son coût ontolo­gique, dont la facture est présentée à l’humanité avec de plus en plus d’insistance, pourrait bien être supérieur à ses avantages pratiques, stratégiques, médiatiques. Justement, pour parer à ses déficiences et la protéger des critiques philosophiques, ou tout simplement logiques, ses défenseurs lui donnent un socle ontologique, religieux ou métaphysique: les hommes, quels que soient leurs accomplissements, leur intelligence, leur droiture, leur élévation spiri­tuelle (et bien entendu leur beauté, leur force, leur séduction, leur puissance, leur situation dans la vie) seraient égaux fondamentalement. Mais comment ne pas voir que ce fondement procède d’une concep­tion du monde aussi archaïque que possible, humi­liante pour l’homme, répressive au dernier degré? C’est l’homme dans son néant qui est égal, dans son inanité, dans sa mortalité, dans son appartenance au limon: l’homme couché, l’homme gisant, l’homme du premier vagissement et l’homme du râle ultime. C’est seulement devant un Créateur ou au sein d’une Création dotés sur eux de toute-puissance que les êtres se valent, comme au sein d’une monarchie absolue et de droit divin, tout le monde est égal devant le monarque. Il n’y a pas de conception plus décourageante, ni qui rende plus vaine l’idée de prendre sur soi: vous pouvez bien écrire le quintette de Schubert ou bâtir la cour des Myrtes, résister seul au Troisième Reich ou peindre L’Aurore aux doigts de rose à Louse Point, peu importe, vous serez toujours égal, égal, égal, c’est-à-dire rien, de la cendre, de la poussière, de la même boue que Kim long-il ou le Pétomane. ‘ » Renaud Camus, Décivilisation, Fayard, novembre 2011.

« Aveu dangereux » certes, car en régime d’hyperdémocratie on ne saurait toucher à ce sacro-saint pilier qu’est l’égalité, c’est-à-dire réfléchir sur son origine, son bien-fondé ou en poser les limites. « Mais là où est le danger, là aussi croît ce qui sauve. » (Hölderlin, Patmos, 1802), aussi peut-on penser que le très beau livre de Renaud Camus, de par sa « dangereuse » lucidité, a de grandes vertus salvatrices.

  1. Rodrigue says:

    Il s’agit de l’égalité de droit et de devoir en face de la société. Relisez la déclaration des droits de l’homme, il n’a jamais été question d’autre chose! Les sociétés occidentales étaient basées sur ce principe, cela permettait le renouvellement partiel des élites et évitait l’exploitation de privilèges ! Mais il existe d’autres civilisations (hé, oui, désolé c’est comme ça que ça se nomme)basées sur d’autres systèmes de valeurs. Ainsi les romains discernaient les patriciens siégeant souvent dans les assemblées (sénat entre autre) des simples citoyens qui possèdaient le droit vote, des esclaves qui eux ne possèdaient rien et étaient totalement la propriété de leur maitre, qui pouvaient les tuer, les mutiler à leur guise. Le programme pour ces esclaves était: les jeux du cirque et du pain.

  2. Cédric says:

    Pfff, n’importe quoi. Comme s’il y avait dans la vie un choix !? « ben tiens, moi, je vais choisir d’être Schubert et d’écrire le quintette de Schubert » « ah ben moi, je vais choisir d’être con et de faire que des conneries » « ah ouais, ben moi je vais choisir d’être moyen et d’avoir une vie moyenne » « et ben dites donc, moi, je vais choisir d’être Léonard de Vinci, et d’être un génie dans un tas de domaines » « quelle drôle d’idée, moi, je vais choisir d’être Bouddha, ça me botte » « et bien moi, je vais choisir d’être Kim Jong-il, histoire de » « ah oui? ben moi, je vais choisir d’être Renaud Camus et d’écrire un truc sur l’égalité »

    On ne choisit rien, mais bon, depuis que l’homme a inventé le « libre arbitre » il s’y accroche désespérément, de peur qu’on le prenne pour ce qu’il est : un vulgaire animal….

    Tous sommes tous égaux car nous sommes tous la même chose.

    Ce qu’on fait ou ce qu’on ne fait pas, ce qu’on crée ou ce qu’on ne crée pas,
    C’est du pipi de chat en comparaison de ce que nous sommes tous : une conscience, une sensation d’exister qu’on ne choisit pas !

  3. k.role says:

    « CHIGALEV : Oui. C’est ainsi que j’obtiens l’égalité. Tous les hommes sont esclaves et égaux dans l’esclavage. Autrement,ils ne peuvent être égaux. Donc, il faut niveler. On abaissera par exemple le niveau de l’instruction et des talents. Comme les hommes de talent veulent toujours s’élever, il faudra malheureusement arracher la langue de Cicéron, crever les yeux de Copernic et lapider Shakespeare. Voilà mon système..

    LE SÉMINARISTE : Mais vous êtes dans la contradiction. Une telle égalité, c’est le despotisme.

    CHIGALEV : C’est vrai, et c’est ce qui me désespère. Mais la contradiction disparaît si on dit qu’un tel despotisme, c’est l’égalité.

    « Les possédés » d’Albert Camus d’après Dostoïevski….

  4. Cédric says:

    A k.role > Oui, mais on peut très bien niveler par le haut ! Ceux qui sont « en haut » élèvent ceux qui sont « en bas » par le simple fait d’être « en haut ». Les belles aptitudes appartiennent à toute l’humanité.

    Évidemment à l’échelle de l’individu, l’humanité est d’une totale injustice, personne n’a ni les mêmes chances ni les mêmes talents ni les mêmes intelligences, mais à l’échelle de l’humanité, à l’échelle des temps, elle est Une, elle avance d’un même pas, personne ne choisit d’être « en haut » ou « en bas », personne n’a plus de mérite qu’un autre, et c’est en cela que nous sommes tous égaux.

  5. roma says:

    « car en régime d’hyperdémocratie » … en ce moment historique être à ce point supérieurement aveugle… des rengaines votre truc, de la bile d’encaustique miroir … un peu vain, Ciao!

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Patrick Corneau