« Voici ce que j’ai constaté d’autre: les uns aux autres nous ne trouvons plus rien à nous dire. Pour s’agréger chacun doit exagérer sa médiocrité: on fouille ses poches et l’on en tire à contrecœur la petite monnaie du bavardage: ce qu’on a lu dans le journal, des images que la télévision a montrées, un film que l’on a vu, des marchandises récentes dont on a entendu parler, toutes sortes de ragots de petite société, de révélations divulguées pour que nous ayons sujet à conversation; et encore ces insignifiances sont à la condition d’un fond musical excitant, comme si le moindre silence devait découvrir le vide qu’il y a entre nous, la déconcertante évidence que nous n’avons rien à nous dire; et c’est exact. »

BAUDOUIN DE BODINAT. Extrait de « La vie sur terre », Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2008.

Dans un bruit de fond informationnel chantant comme une œuvre orchestrale de Xenakis, le blogueur est un transfuge de la graphosphère qui pratique la brasse coulée en vidéosphère (images en flux, syntaxe coq-à-l’âne, logique binaire, émotions à fleur de mots, pleurnicheries, philosophie Canal+ mâtinée d’idéologie Télérama).  Il a coupé son portable, enlevé ses oreillettes et fixe le pointeur de son écran comme une poule qui a trouvé un couteau. L’inspiration ne venant pas, il se lâche en levant la patte chez les voisins voisines invités dans sa « blogroll ». Commenter n’est pas bloguer. Aussi revient-il à la niche titiller, triturer, essorer son ego – à moins qu’un léger massage aux orties sur le dos d’un voisin voisine l’inspire davantage. Après avoir trouvé une trame, convoqué l’intertextualité, agité quelques formules et accouché de phrases irrévocables, il épingle quelques smileys et attend une voix, le signe d’un mal pareil au sien…                 Alors du tohu-bohu webmatique un commentaire tombe. Et crève l’œil du vide.

Blogs: d’ultimes bouteilles jetées à la mer avant le grand silence, beaucoup croisent d’autres bouteilles, s’entrechoquent puis repartent, certaines chanceuses trouvent une île, la majorité erre sans fin d’un océan à l’autre.

Sic transit blogus mundi

[Sachant que « Les portraits exacts faussent la ressemblance » comme disait Alexandre Vialatte, le blogueur portraituré ici est un archétype fictif mais le lecteur peut imaginer qu’il est réel et je ne le démentirai pas. (Merci à NdSmF d’avoir inspiré ce billet)]

Illustration: origine non connue

  1. V. says:

    Bonjour Monsieur Lorgnon,
    Ravie d’avoir « inspiré » ce billet comme vous dites, bien meilleur que le mien. Tout l’intérêt finalement de la blogosphère réside dans ces contributions re-bondissantes (pour reprendre l’expression débile « rebondir ») comme une conversation. Excellente illustration !
    Bien à vous

    1. Bonjour Madame V.,
      Merci pour vos mots mais il n’y a pas de « meilleur que », il y a des « sons » différents produits précisément par ces chocs et rebonds. On peut espérer que leur addition puisse créer une petite mélodie pour les oreilles fines…
      Bien à vous,

  2. Cédric says:

    Quant à moi, j’aimerais rebondir ( expression débile en effet, mais finalement pourquoi pas 😉 ) sur la légende de l’illustration.

    Je ne sais pas si « commenter n’est pas bloguer », en tout cas en tant qu’ancien ‘blogueur’ ( on dirait un alcoolique qui parle ), et peut-être à nouveau futur ‘blogueur’ (toujours l’alcoolique qui parle (un blogueur devant toujours craindre une rechute, un blogueur reste un blogueur à vie ! )) je voudrais m’inscrire en faux contre ce que prétend cette légende, car :

    I don’t have a shitty haircut ! (ni tonsure ni crasseux ni coupe au bol )

    Par contre il est vrai que « I never get laid » car ces mots ne font pas partie de mon vocabulaire. ( Pour ceux qui l’ignorent : « to get laid » se traduit par « se faire quelqu’un » « baiser » « tirer son coup ». ) Il y a ceux qui « baisent » ou « se font baiser » et il y a ceux qui font de cet acte autre chose. Plutôt ne toucher personne que d’assouvir une dérisoire pulsion.

    Voilà pour mon rebond !

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Patrick Corneau