« Je venais de dire à cette très jeune femme, intelligente, cultivée, ironique, l’angoisse que suscite en moi la dégradation de la civilisation française. Elle me regarde étrangement, cesse de manger, me somme de m’expliquer. « Nul ne se soucie plus de grandeur » ajouté-je. « La grandeur? Quelle foutaise! » s’écrie-t-elle, indignée, en se levant pour me planter au milieu du restaurant. » Richard Millet, Fatigue du sens, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2011, 154 pages, 16 €.

Un essai combatif et terrifiant (donc roboratif) sur le « monde horizontal » qui est le nôtre, c’est-à-dire le monde qui a renoncé « à toutes les valeurs de la verticalité » (l’horizontalité communautariste/capitalistique développant l’enfer des équivalences généralisées). Richard Millet est un écrivain-guerrier dont les fulgurances « ne heurteront que les professionnels de l’indignation mais qui ne doivent pas faire illusion: je ne me situe nulle part, et me tiens à égale distance de la nostalgie, du désespoir et de la haine. » (p.10)

Un livre à faire infuser pour ne pas désespérer

Illustration: Editions Pierre-Guillaume de Roux.

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  1. gmc says:

    « Richard Millet est un écrivain-guerrier dont les fulgurances… »……(sourire)

    civilisation, civilisé: mots nés aux XVIème s. (la « grande » époque de la colo et de la traite des nègres), en opposition à sauvage…..si on voulait employer une terminologie un peu précise, on utiliserait le mot culture au sens anthropologique du terme; l’emploi du terme « civilisation » ne représente en fait que la prétention, la vanité et le mépris des autres professés par celui qui l’utilise.

  2. A la manière du Doctor FS. says:

    Enfin une femme de goût : Toujours préférer l’horizontalité à un long discours sur le déclin de la civilisation française.

  3. A la manière de says:

    Avouer ?
    Une femme de goût ! Jamais !

    « Jamais quand c’est la vie elle même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. »

  4. Une très jeune femme, intelligente, cultivée, ironique. says:

    J’avais envie de b… et lui il me parlait de ses angoisses, de dégradation, de civilisation. De la fatigue des sens ou du sens… je ne sais plus. Je suis rentrée chez moi, à l’Hôtel du Palais où, au bar Impérial, un grand garçon noir hilare, m’a servi un verre. Ma magnifique suite…

  5. Rodrigue says:

    « Civilisation française »? Qu’est-ce, bigre ? civilisation ibérique? italienne? germanique? britannique? helvète? luxembourgeoise? andorriennne? monégasque? Non, on peut tout juste parler d’un art de vivre à la française, mais cet écrivain démontre qu’il n’a déjà peut-être plus cours…

    1. Les commentaires sur la signification à donner à certains mots (« culture », « civilisation », « grandeur », etc.) démontrent le bien-fondé de la position de Richard Millet, le sens, effectivement, est « fatigué »… « Quand on n’est pas certain des événements, on n’est plus certain du sens des mots. » disait Wittgenstein.

  6. racbouni says:

    Civilisation est un mot-cochon. Il se roule facilement dans la fange. Tout est bon en lui. On peut en manger n’importe quelle partie, on peut le considérer avec dédain, ou admirer sa gracieuse lourdeur.

    Qu’est ce la civilisation ? La réponse que l’homme sitôt qu’il est plus de deux trouve à la question de l’homme à l’état naturel. Et là nous retrouvons les deux axes incontournables de la philosophie politique européenne :

    Soit la civilisation est l’ensemble des rites,bornes, normes, balises, de l’organisation et des règles sécuritaires que l’homme a crée pour contenir l’homme, car il en faudrait craindre la nature primordiale vouée au mal et au chaos (Hobbes, un peu Spinoza). Balises et lois qui, cela dit, récupérées par l’homme mauvais, peuvent devenir des outils pour déchaîner l’homme mauvais sur l’homme « corrigé » ou plutôt « contenu » (muselé dirait Léo Ferré !) soumis à ces lois.

    Ou alors, la civilisation ce sont les fers du contrat social, de l’éthique, de la morale, tout ce qui avilirait l’homme, l’arrachant à sa naturelle candeur et bonté, qui le salirait, qui pervertirait ses forces originelles, sa santé, c’est l’obligation de l’être social contre l’heureuse et bonne solitude, c’est le cauchemar de l’économie, du pouvoir, de la démultiplication du genre humain, etc (Rousseau, anarchistes, etc)

    Moi j’aurai tendance (de par mon expérience personnelle auprès de mes frères humains), à partir des bases posées par le philosophe politique Chinois Xunzi (荀子) qui me semblent les plus réalistes : 人性生来是“惡”的 : c’est à dire que l’homme brut, à peine né, est naturellement mauvais, incliné à l’égoïsme, à la violence, à la passion éperdue des sens, etc.

    L’homme est d’un bois mauvais, qu’il faudra sculpter durement pour arriver à ce qu’il puisse vivre à plus d’un sans que cela débouche sur le meurtre, le viol, la rapine et le chaos. Le restant de ces forces pulsionnelles naturelles travaillées, gommées et tranchées,résidant à l’état latent en chacun est ce qui donnera la force à l’artiste de créer, à l’assassin , au violeur de tuer malgré tous les interdits, à l’homme de se conduire malgré tout avec cruauté, mépris, avidité, à l’homme de pouvoir de se gaver de chère, de confort et de chair, etc ;;;

    Ah la belle énigme qu’est l’homme !

  7. k.role says:

    CONTRE LE NIHILISME :

    Dans « les Possédés », Dostoïevski, fait dire à Kirilov : « ils ne sont pas bons parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont bons. Quand ils le sauront, ils ne violeront plus la petite fille. Il faut qu’ils apprennent qu’ils sont bons et aussitôt tous deviendront bons, tous, jusqu’au dernier.

    et puis à Stépane Trofimovitch au moment de son agonie :  » Même le plus sot des hommes a au moins besoin de quelque chose de grand. (…) Ils ne savent pas qu’eux aussi, ils renferment en eux la même grande pensée éternelle. »…

    1. « La France : un des beaux noms du nihilisme », écrit Richard Millet dans « Fatigue du sens »… la Littérature reste la meilleure arme pour lutter contre la pente nihiliste. Merci pour ces citations éclairantes. 😉

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Patrick Corneau