H

Hommage à l’imbécile (le touriste français, le Fran­çais touriste)

« Le Brésil ne supporte pas la médiocrité. J’ai un moyen infaillible pour repérer les imbéciles: les faire parler du Brésil. L’imbéci­le, souvent français, toujours touriste, a ‘fait le Brésil’, même si le Brésil jouit d’une super­ficie équivalant à dix-sept fois celle de notre pays. L’imbécile (ça ne rate jamais) préfère toujours Rio de Janeiro à São Paulo – à cause de la mer, des clichés, des culs, du carnaval. L’imbécile trouve les Brésiliens gentils et ne voit jamais, ne soupçonne pas un instant la cruauté qui s’y dissimule, envers d’une médaille il est vrai solaire, magnifique. L’imbécile aime la musique populaire brési­lienne (toute la musique populaire brésilienne) sans se rendre compte que cela équivaut, pour un touriste japonais, à se ruer vers les disques de Charles Aznavour ou de Gilbert Bécaud – alors qu’il faut, aussi, découvrir les Pernam­bouquiens Lenine ou Chico Science (1964­-1997). L’imbécile est persuadé qu’en Amazo­nie il faut absolument aller visiter les caboclos, et que Manaus a plus d’intérêt que Belém de Para. L’imbécile (le touriste français, le Fran­çais touriste) se vante d’avoir vu les favelas, d’avoir bronzé sur la plage de Copacabana (puis d’être allé boire un verre au palace du même nom), d’avoir dansé la samba, mais il ignore les sculptures d’Aleijadinho dans le Minas Gerais (Ouro Preto, São João Del Rei, Mariana…), le forró qu’on pratique à Recife ou à Olinda, et l’Église positiviste de Comte ne lui dit rien. Il a ‘fait’ le Brésil mais n’a pas passé plus de deux jours (parfois, pas même une seconde) à Brasilia – il pense, encore, que l’Amazonie n’est faite que d’arbres, de feuilles, de touffes où jamais le soleil n’entre. L’imbécile a peur de se faire agresser dans les rues: il a raison, et nous louons finalement ses agresseurs du moment qu’il en soit quitte (ne soyons point trop cruels) pour une bonne trouille. Pour un Français franchouillard, le Brésil n’est pas seulement incompré­hensible: il est impénétrable. Le touriste fran­çais pourra bien aller tous les ans, pendant toute sa vie, dans la patrie de Chico Buarque et, de Jorge Amado (épouvantable écrivain): il ne verra jamais le Brésil. Il croisera des enfants torses nus, des plages à ballons, des cireurs de chaussure, des hommes cravatés, des Blacks tapant sur des peaux, des arbres compliqués qui le dépassent dans tous les sens du terme, mais il restera à la porte. C’est que cette terre nous crie: ‘Que nul n’entre ici s’il est étriqué.’ »

J’ai renoncé depuis longtemps, pour ma part, à parler du Brésil ou d’accepter qu’on m’en par­le – cela me donnerait, non la saudade, mais la nausée. »

Extrait de la critique de Yann Moix consacrée au DICTIONNAIRE AMOUREUX DU BRÉSIL de Gilles Lapouge, Plon, article paru dans le Figaro Littéraire du jeudi 12 mai 2011.

  1. anna F. says:

    Bon j’y vais. Je ne suis plus à un commentaire près n’est-ce pas, cher Lorgnon …
    Mais il se prend pour qui celui-là. Yann Moix, le maître de la pataphysique. Pour un touriste intellllllllllllligent, cultivé, avvvvvvvvvvvvverti . Mais quel personnage suffisant et odieux. Le Brésil est un mythe d’accord. Mais je revendique le droit à chacun d’aborder ce pays avec son coeur et son âme. Et tant pis si – ce chacun – se trompe. Il aura bien le temps, le pauvre touriste égaré, d’y retourner ou bien de se rendre compte de son erreur. Il faut tant de temps, tant d’années pour comprendre la cruauté (c’est le seul juste mot que je remarque) de ce « continent ». Je suis déçue de voir la couverture de Gille Lapouge et de lire les mots de ce Moix snob et prétentieux. Morte de rire. Parce que lui, il a tout compris …. Il a raison, qu’il se taise. Et laissons parler Gilles Lapouge. 655 pages. Des critiques, mais pas de jugements. Beaucoup de lucidité et aucun mépris pour ceux qui essaient de comprendre. Quant à moi, peu m’importe de comprendre ou non. Je m’y sens bien. Je regarde. J’écoute. Je respire. Je rêve d »y habiter. Je dis à mes enfants, dépêchez-vous. N’attendez pas que je sois trop âgée pour pouvoir m’y installer. Promis, Cher Lorgnon, dernier message pour aujourd’hui.

  2. Cédric says:

    Moi, je suis d’accord avec tout le monde :

    Avec vous, anna F., quand vous dites que chacun a le droit de se « faire son Brésil » mais également avec Moix qui moque celui qui dit avec sérieux j’ai « fait le Brésil  » (peu importe le pays évidemment), expression pour le moins ridicule.

    Bien à vous.

  3. François says:

    Bonjour,

    Il s’agit d’un extrait de l’article Yann Moix. Pourriez-vous me transmettre ou mettre en ligne l’intégralité de sa critique?
    Merci!

  4. Balda says:

    En lisant, cette pose incroyablement suffisante, mon sang n’a fait qu’un tour. Mais Anna a déjà parfaitement répondu. La fatuité de Yann Moix, qui parcourt le Brésil de son immense intelligence est confondante.
    Jusqu’à traiter Amado d’épouvantable écrivain. Amado a certes commis de très mauvais livres, mais au moins deux très bons, Suor, et Les chemins de la faim, et rien que pour ces livres garde une petite place dans mon coeur. Pourquoi ne pas alors citer plutôt l’horrible Coelho dont les rayons des librairies sont blindées.
    et s’il n’aime pas Amado, pourquoi ne pas citer le sublime Joao Guimaraes Rosa ou d’autres, la litterature brésilienne est donc si pauvre qu’il faille parler de la patrie d’Amado ?
    Quand à moi, pauvre touriste français, pour cause d’une amoureuse dans le sud du Brésil, je le découvre à ma mesure, petitement, parfois je me vautre dans le cliché sans doute, souvent je regarde vivre les gens. Je n’échappe pas toujours à la caricature peut-etre, mais comme je ne croise jamais aucun français, j’ai le faible de croire que ce que je découvre à ma petite mesure, aucun autre français avant moi ne l’a vu ! même pas Yann Moix !

  5. André Girod says:

    Dans un livre : « Tourisme de destruction massive » ( l’Harmattan) l’auteur André Girod, ancien accompagnateur au Touring Club de France consacre un chapitre au  » Touriste imbécile »

Répondre à anna F.Annuler la réponse.

Patrick Corneau