La préposée aux « produits éditoriaux » (sic) de la FNAC était accroupie devant son rayon où elle rangeait ses « produits »: « Pardon mademoiselle, auriez-vous Blabla de Machin Chose chez Trucmuche? » Elle me dévisage et me lance un Bonjour! réprobateur (sans se lever) avant de me répondre. Fin de la séquence.

Je suis sur un quai de gare et m’adresse à un préposé à casquette SNCF: « Excusez-moi Monsieur, pourriez-vous me dire si le train… » Il me dévisage et me lance un Bonjour! fracassant en guise de préambule (casquette maintenue vissée). Fin de la séquence.

Ce genre de dialogue est très courant et il n’est pas impossible même qu’un employé de gare, de grand magasin, d’administration, etc. vous remette à votre place d’un péremptoire et traumatisant On dit bonjour, d’abord! Que je sache, le Bonjour tout court, jusqu’à la fin du XXe siècle (!) était considéré comme une impolitesse entre égaux (hors intimité avec des enfants ou des personnes avec qui on est très étroitement lié). Ce détestable Bonjour! lancé à la volée (même ma voisine d’immeuble, la soixantaine, en fait usage) s’est généralisé dans une société obsédée par la peur de ses tensions, l’évitement de sa propre violence qu’elle maquille par une politesse de surface, pesante, malséante, grossière et finalement pénible, proférée au mieux sur un ton indifférent, sans âme, ou au pire avec insolence, mépris, comme une insulte déguisée.

Illustration: Éditions Fayard

  1. racbouni says:

    Ehehe, société de rustres dévergognés que la notre, toute entière planquée derrière un Bonjour aux crocs acérés…

    Cela dit il faut aussi tenir compte du travail en lui même : il sape l’humanité de votre interlocuteur, qui finira par se faire odieux pour supporter. Et des « usagers » ou « clients » odieux, il y en a aussi;;;

  2. Cédric says:

    Bonjour, ( 😉 )

    Vos  » Pardon mademoiselle » et « Excusez-moi monsieur » me paraissent pourtant empreints d’une suffisante courtoisie.

    Un monde où toute politesse serait bannie, faciliterait peut-être les échanges entre humains.

    Bien à vous. Avec tout mon respect. Salutations distinguées. Mes hommages.

    1. Cédric says:

      Bonsoir,

      Merci. 😉 Ils n’ont pour but que d’être créés, un peu comme nous, humains ! 😉

      Mes émotions distinguées accompagnées de mes hommages les plus châtiés, dans l’attente respectueuse d’une non-réponse tout aussi poliment et courtoisement accueillie que les plus cordiaux adieux sincères et solennels !

  3. lignesbleues says:

    civilisé ? voilà bien un mot que l’on (je) n’ose plus guère employer, car on arrive immédiatement à civilisation, devenu aujourd’hui presque imprononçable tant le mot est connoté (cf les guillemets de Rodrigue). Je sais, il faut parfois être militant et tenter de se réapproprier le sens des mots (identité par exemple…).

    A part cela, situation vécue des dizaines de fois et je me suis souvent demandée : pourquoi ? prête à battre ma coulpe, en tant qu’individu. Mais vous faites bien de le souligner, c’est un phénomène social. Comme cela se produit souvent dans des situations où l’on est un « client », cela revient à payer pour se faire engueuler, et en plus à se culpabiliser de n’avoir pas été assez poli ou assez compréhensif face à la situation d’employés exploités (culpabilité X 2). Revenons donc à l’urbanité, et peut-être à la nécessité de dire les choses, de la façon la plus aimable possible, quand on est dans ce genre de situation. Par exemple, dire, vous savez j’ai lu « un post » d’un monsieur qui s’appelle le Lorgnon mélancolique, qui explique que, quand on dit bonjour,… etc. (:-)) cela suffira-t-il ?

    1. Oui, on pourrait faire une petite « liste rouge » des « mots qui fâchent », c’est-à-dire dont le sens a été « reconnoté » par le politiquement correct au point d’être méconnaissables (identité bien sûr, mais aussi peuple, civilisation, grandeur, etc., ne parlons pas du mot race, proscrit entre tous). Ce sont des indicateurs de cette « fatigue du sens  » dont parle Richard Millet, reflet d’une misère bien plus grande faite d’ignorance, de servitude et de fatigue spirituelle (démission et culpabilité/mauvaise conscience face à la Bienpensance).

  4. Anna F. says:

    Et bien moi, je ne cède pas. Disons que je ne cède plus. Après avoir été terrorisée moultes et moultes fois par des vendeuses ou des vendeurs et leur « bonjour » agressif.
    Non, je n’ai pas omis de les saluer. J’ai simplement considéré que ma manière de m’adresser à eux était agréable et polie. Leur manière de me toiser ne me fait plus peur. Je ne réponds plus « bonjour » et j’attends calmement une réponse à ma question. C’est un échange de regards qui peut durer quelques secondes, mais je ne cède plus. Et je déteste aussi ces bonjours à la volée !

    1. BRAVO ! Cela me rappelle une scène extraordinaire du dernier film du regretté Alain Corneau, « Crime d’amour », où l’on voit le personnage interprété par Ludivine Sagnier acheter un couteau (le couteau du crime) dans un magasin et envoyer balader la politesse toute commerciale et consensuelle de la vendeuse d’une façon parfaitement odieuse. C’est un peu extrême mais très réjouissant. 😉

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Patrick Corneau