Lu dans Echancrures de Georges Perros chez Calligrammes (1982):
« C’est gai, écrire. On peut écrire gaiement qu’on va se suicider. Écrire ne peut tendre qu’à l’ellipse, au poème; ou à l’illusion de l’efficacité. Le langage c’est un océan de mots. Pour ma part, ou je suis presque noyé dedans, ou, quand la mer se retire, je regarde, je marche sur ce qui reste. Des trous, des flaques. L’écriture fragmentaire, ce sont des flaques, ces restes marins, ces coquillages, ces témoins humides. Mon attention les sèche. A l’opposé du discours continu, qui est la vie, entre du palpable et du rien. Un petit Poucet, sauf que j’ai les cailloux devant moi. Comment lire ces déchets? Il y a un temps, un moment, pour lire le journal, pour lire un roman ou un poème. Mais des notes? Au-delà de la note, il y a, il n’y a que l’aphorisme, solitaire invétéré. Mots en froid. »
« Bien écrire, ça ne veut rien dire. Aujourd’hui, on ne peut que souhaiter la rupture totale. Ce n’est pas facile. Il ne faut pas le faire exprès, mais le vivre. Ce que j’aime chez un écrivain, c’est ce qui lui échappe, à partir d’une élimination. La littérature n’a de sens que monstrueuse. Écrire, c’est Balzac, c’est Hugo, c’est Proust. Dragueurs en folie. »
« Il faudrait empêcher de lire ceux qui claironnent que la littérature ne sert à rien. A des riens, oui. J’aurais donné ma chemise, cousue d’or, pour connaître Kafka. L’aimer. Vivre en même temps que lui. Je tuerais avec plaisir ceux qui déblatèrent sur son ‘angoisse morbide’. S’ils n’existaient pas, Kafka n’aurait pas existé. Qu’on se le dise! »
Illustration: Editions Calligrammes