Pour ceux et celles qui échappent au tropisme de la Grande Bleue, une belle et savoureuse évocation de la plage de notre haute enfance et sa micro-comédie sociale par Marc Lambron dans son dernier Carnet de bal (3), Grasset, 2011.

« Un jour, pour que la plage ne distille plus sa nostalgie, j’ai décidé d’y voir une comédie. C’est une autre focale, celle des petits films muets et des saynètes à la Jacques Tati. Toute plage qui se respecte doit entrecroiser les manèges de per­sonnages inamovibles. Si je devais dessiner leurs silhouettes, il y aurait quelques incontournables. L’enfant au seau, d’abord: c’est un petit maçon hardi qui adore déclencher des effondrements de châteaux de sable au-dessus du tran­sistor des voisins. A l’heure de la douche vespérale, il a l’air d’un fantassin de l’armée Leclerc échappé d’une bataille du désert. La mère de l’enfant au seau, elle, affiche plutôt les stigmates d’un prêtre maya en période zénithale; armée d’un terrifique arsenal de crèmes incendiaires, elle se chocolate le derme jusqu’à obtenir des résultats cutanés qui se comparent favorablement au parcheminage d’une momie aztèque. Mys­térieusement, cette grande brûlée arbore toujours des lunet­tes à monture dorée retenues par une cordelette. Elle regarde passer le vendeur de gris-gris, personnage en boubou chargé d’agiter sous votre nez de fausses statuettes yoruba que per­sonne n’achète jamais. Non loin se tient toujours un quin­quagénaire avantageux avec une casquette à ancre marine, façon capitaine Troy, qui adore promener ses amis dans un hors-bord qu’il rejoint en retroussant son pantalon.

Tout ce monde se regroupe volontiers sous l’auvent du tenancier de paillote. Invariablement jovial, ce dernier porte une gourmette, roule en Mercedes, et s’entretient à voix basse avec des types désœuvrés qui ont l’air de sortir des Sopranos. C’est chez lui, à l’heure de la collation, que les dames s’affrontent à coups de paréos et de tongs à 200 euros. Le comble du chic consiste à faire tintinnabuler les bracelets sur la peau hâlée en même temps que les glaçons du Diet Coke – cela rend un petit son délicieux, agaçant et sexy. On retourne alors sur les matelas d’où ne décolle jamais un autre personnage capital, l’adolescente fluo. Celle-ci arbore géné­ralement un maillot de bain très collant, un petit ruban autour du poignet et un livre de Paulo Coelho qu’elle n’ouvre jamais. Il y a toujours un moment où elle lâche « la plage, c’est nul », dans un grand élan théâtral qui laisse tout le monde de marbre. Alors elle court vers les vagues, le menton haut, en éclaboussant d’un sillage de sable l’homme au bob. Ce dernier est un type de 60 ans qui porte un bob et des bermudas, met sa main en visière et scrute l’horizon, sur­tout à marée basse. Que cherche-t-il? On ne sait trop. L’homme au bob a pour mission existentielle de contempler l’infini. Il ressemble à un joueur de pétanque, mais infuse en vous un doute métaphysique profond. »

Illustration: photographie ©Lelorgnonmelancolique

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Patrick Corneau