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hmorganlettrine2.1296914216.jpgAu sortir de ma « bobinite » d’avant Noël, j’avais comme un trop plein d’Idéal, une indigestion de « beauuuté », comme si j’avais trop ingurgité de marrons glacés. J’avais besoin d’accommoder ma vue sur le plancher des vaches, de revenir à l’ici-bas et à son odeur de cuisine comme disait Mallarmé. Didier da Silva et son art sobrement déceptif tombaient à point. J’ai chaussé ses lunettes ambre (et même plutôt sépia) grâce auxquelles il ne voit pas la vie en rose. Ce qu’il voit dans les deux exquis petits livres* qu’il vient de commettre est la vie « telle qu’en elle-même l’éternité ne la change pas », avec sa petite musique, disons un lied: « Pas trop lent, soutenu, fluide comme la brume qui blanchissait, mélancolique sans en faire trop, avec un passage en majeur lumineux mais trop court et une dernière modulation, poignante comme tout ». Flâneur baudelairien, Didier da Silva est aussi un mélomane qui joue du piano (espèce authentique et donc rare), ce qui est loin d’être indifférent à sa prose en demi-teinte, feutrée (il avoue avoir accumulé au fil des années une « collection de musiques tristes à périr » dont il se délecte quand il est au mieux de sa forme). Didier da Silva a cette sensibilité météorique (au sens atmosphérique) qui s’assombrit où qui s’éclaire selon l’heure. On pense à ces sensitives évoquées par Jean Grenier dans son Lexique: « Les sensitives, à Ténériffe, se courbent lentement l’une après l’autre quand on approche, leur couleur change et passe du bleu au mauve, puis elles se redressent et reprennent leur couleur ancienne. C’est comme si on lançait une boule de neige sur un jeu de quilles, dit André Breton, c’est une recréation perpétuelle de la poésie et de la vie. » Didier da Silva penche, il incline, se rétracte, se braque, sensible à la moindre pression, au moindre contact, complexion que tout heurte, froisse – ainsi le sale rhume, le cirque (magnifique morceau sur sa « fausse bonne humeur sinistre »), les urgences et gens de santé, les amitiés qui s’essoufflent, le quotidien qui va de flops en bides, etc. 
Le point d’appui à partir duquel, semble-t-il, il est possible à Didier da Silva de se rassembler, ressourcer, de regagner une possible confiance en l’existence est le baume que lui procurent l’aube ou le crépuscule, cet entre-deux où rien ne vit mais tout se prépare, intersignes que la présence sensible de la Méditerranée ou la muette campagne lui adressent par intervalles et qui comblent ses sens d’une presque félicité.
Il faut lire Didier da Silva, le plus « japonais » de nos écrivains dont l’art de l’instant, très wabi (avec un sens indéniable du Mono no Aware ou « pathos des choses », qu’il me pardonne cette audace), est ce couteau poétique qui nous ouvre à mesure la possession du temps ou plutôt, son passage.
Précieux dans un monde qui ne s’arrête pas et ne s’appartient plus.

*Une petite forme (avec des dessins de François Matton), P.O.L, 2011, et L’Automne Zéro Neuf, Laureli/Léo Scheer, 2011.

Illsutrations: Léo Scheer / P.O.L

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  1. PhA says:

    Très sensible aussi à la « sensibilité météorique » (joliment dit) de Didier da. Avec cet Automne Zéro Neuf et cette Petite forme, l’hiver 2011 n’a plus qu’a bien se tenir.
    (Quelle idée aussi de se bourrer de marrons glacés ! Je comprends votre état en sortant de Bobin – que je ne peux carrément pas lire, trop de sucre à mon goût.)

    Pensons à l’impertinent et magnifique « Contre la Poésie » de W. Gombrowicz: « Pourquoi est-ce que je n’aime pas la poésie pure ? Pour les mêmes raisons que je n’aime pas le sucre « pur ». Le sucre est délicieux lorsqu’on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. Et en poésie, l’excès fatigue : excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d’épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. Comment en sommes-nous arrivés là ? »

    texte intégral: http://www.zwyx.org/portal/gombrowicz/gombrowicz_contre_la_poesie.html 😉

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Patrick Corneau