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« Dieu, c’est le nom de quelqu’un qui a des mil­liers de noms. Il s’appelle silence, aurore, personne, lilas, et des tas d’autres noms, mais ce n’est pas possible de les dire tous, une vie entière n’y suffirait pas et c’est pour aller plus vite qu’on a inventé un nom comme celui-là, Dieu, un nom pour dire tous les noms, un nom pour dire quelqu’un qui est partout, sauf dans les églises, les mairies, les écoles et tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une maison. Car Dieu est dehors, tout le temps, par n’importe quel temps, même l’hiver, et il s’endort dans la neige et la neige pour lui se fait douce, elle ne lui donne que sa blancheur avec quelques étoiles piquées des­sus, elle garde pour elle la brûlure du froid. Dieu n’a pas de maison, il n’en a pas besoin et d’ail­leurs lorsqu’il voit une maison, il ouvre les portes, déchire les murs, brûle les fenêtres et c’est tout qui entre avec lui, le jour, la nuit, le rouge, le noir, tout et dans n’importe quel ordre, et alors, et alors seulement, les maisons deviennent sup­portables, alors seulement on peut les habiter, puisqu’il y a tout dedans, le soleil, la lune, la vie très folle, la douceur très grande de la folie, les yeux pervenche de la folie. Et Dieu repart ail­leurs, toujours ailleurs : à force de traîner les che­mins, de s’endormir partout, dans les sources, dans les fougères, dans le nid des mésanges ou dans les yeux des tout-petits, Dieu a une drôle d’allure, vraiment. Lorsqu’il n’ouvre pas toutes grandes les portes, Dieu ne fait rien. Ce serait là son métier : ne rien faire. C’est un métier très dif­ficile, il y a très peu de gens qui sauraient bien le faire. qui sauraient ne rien faire. Dieu, lui, fait cela très bien. De temps en temps, pour se repo­ser, il s’arrête de ne rien faire : alors il fait des bouquets ; il cueille toutes les lumières du monde, même celles des orages et des encriers, il en fait des bouquets mais ne sait à qui les offrir. Ou bien il met un coquillage tout contre son oreille et il écoute des musiques, toutes les musiques du monde, longtemps il écoute et c’est comme un flocon dedans son cœur, un tourment d’écume, le premier âge de la mer, l’immensité de la mer dedans son cœur et Dieu se met à rire et Dieu se met à pleurer, parce que rire ou pleu­rer, pour Dieu c’est pareil, parce que Dieu est un peu fou, un peu bizarre. Et si on lui demande ce qu’il a, il dit qu’il rie sait pas, qu’il ne sait rien, qu’il a tout oublié le long des chemins et qu’il a perdu la tête, perdu son ombre, qu’il ne sait plus son nom. Et puis il rit, et puis il pleure, et il s’en va, et il s’en vient, et c’est le jour, puis c’est la nuit, et puis voilà, c’est toujours comme ça, toujours, chaque jour. »

Christian Bobin, Souveraineté du vide, Folio 2680, Gallimard, 1995.

hmorganlettrine2.1291281426.jpgLire Bobin c’est un peu lire « la parole qui sauve… », ses textes font penser à un verre fumé pour soutenir l’éclat du soleil. De ce fait, difficile de le commenter, surtout quand il parle de Dieu…

Illustration: « My My Hey Hey » photographie de Sgian Dubh Qajaq.

  1. lignesbleues says:

    oui, il me plait bien ce dieu là, petit bonhomme bleu, mais que viennent faire ces intrus(es) que sont les mairies et les écoles , qui précisément sont la petite discordance qui enlève une part d’ universalité (c’est bien divin ça) à ce texte ?
    Enfin c’est à Christian Bobin qu’il faudrait demander cela

  2. gmc says:

    les timides sont toujours très frustrants, bobin va jusqu’à troie et il s’arrête avant que la ville ne tombe, franchement….quand on pense à tout ce qu’il aurait pu écrire s’il avait seulement osé..^^ alors, après, il brode, mais il lui manque toujours la saveur du funambule au-dessus de l’abîme^^

  3. Natacha S. says:

    Bobin rassure les enfants, c’est une veilleuse dans le noir. J’aime sa loupiote et ses mots clairs. Il ne faut rien lui demander d’autre, ni d’être un philosophe. Un très gentil poète, un ami d’une grande disponibilité la plupart du temps. Parfois, c’est un lâcheur, il ne va pas plus loin. Curieusement, il a un côté calviniste, un penchant à se retenir…

    Oui, je suis assez d’accord avec votre commentaire: une parole rassurante mais qui laisse parfois sur sa faim, comme s’il y avait un au-delà des mots qui ne passe plus par les mots… 😉

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Patrick Corneau