ferli2.1289930858.jpgVade retro Pictus Potentissimus! Il fallait à la pensée unique son bras armé: le voici. PPT a détrôné le vieil acétate (dit « transparent ») qui glissait, se gondolait, s’effaçait (oeuvre artisanale pleine de défauts humains, trop humains) et envahi nos écoles, universités, salles de réunions, séminaires pour y faire triompher (enfin) la forme lisse, très lisse sur le fond, très, très au fond. L’habit fait le moine comme le PPT fait la pensée…
PPT: suicide de l’ironie.

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« Le premier PowerPoint fut écrit en lettres de feu par Yahvé sur un mur à l’attention de Balthazar afin de lui signifier qu’il avait été pesé, compté, divisé, etc. Mané, Thécel, Pharès*… Cette technique longtemps en sommeil, comme nombre des inventions de la Bible (le buisson ardent, l’appareil qui transforme votre fils en gigot, la mer écartable), a aujourd’hui formidablement trouvé son application contemporaine.

L’utiliser. Il le faut. Pour l’ambiance déjà. Tamisée, si tamisée… Pour la maîtrise technique que cela suppose. Et pour la joie d’écrire en énorme quatre mots à la con sur un mur qui, par magie, semblent lourds de sens. Le procédé est incroyable: un écran projette des mots, cons, qu’un con lit, dans une orgie tautologique sans pareille. Tout est raréfié: la pensée, les mots, la syntaxe. Étrange cérémonial qui laisse croire à la présence réelle du sens dans la formule projetée.

Le PowerPoint vétérotestamentaire a été dévoyé. La magie était alors dans le procédé, pas dans le message. Dieu se fendait d’un avertissement sévère, calculé, alors que le Pictus empowéré contemporain se contente d’écrire: L’EXPLOITATION COMPTE 25 % DE SALERS*. Là, l’assistance se dit: « Tiens, c’est vrai, je n’y avais jamais pensé. ’25 %’, écrit aussi gros, cela doit être une certitude. Ah, j’aimerais avoir des certitudes. Ai-je eu raison de devenir cadre commercial? Aimé-je vraiment ma femme? Cette résidence secondaire n’est-elle pas un pari risqué? 25 %, quand même. Simple, lapidaire. Ma vie est un chaos. Je la veux en PowerPoint ».

Le PowerPoint, c’est la sacralisation de la parole aux cadres (auparavant l’intervenant se contentait de placer sa veste sur un des coins du paperboard et vous parlait, marqueur à la main, en bras de chemise). C’est le tag existentiel de nos néants organisés. C’est triste, mais triste… »
Mara Goyet, « Les 30 ans du Débat », Le Débat numéro 160 – mai-août 2010. Texte repris dans le délicieux Formules enrichies, Café Voltaire, Flammarion (29 septembre 2010).

*Menace divine promptement réalisée puisque Balthazar mourut la nuit même…
**La « Salers » est une vache auvergnate élevée pour son lait ou pour sa viande.

Dans un revigorant petit essai La pensée PowerPoint Enquête sur ce logiciel qui rend stupide (Editions La Découverte), le journaliste Franck Frommer analyse en profondeur la « pensée » PowerPoint.

Illustrations: Editions Flammarion/ Document sonore: émission « Place de la Toile » sur France Culture.

  1. Natacha S. says:

    Quel cauchemar! Tout est formatisé!
    Pour Joël Minois:
    Rrien à voir avec le traitement de texte qu’on utilise comme on le veut, du poème au tag anar, qui n’est qu’une super machine à écrire.
    Mais la machine à penser! L’organisation de la réflexion, de la communication, dans une pâle esbrouffe aux crayons de couleur et un cadre qui ratatine. Le royaume de l’incompétence et du manque d’imaginaire. Tous rasés la tête au carré. Que c’est bête! C’est avec des logiciels pareils qu’on arrive à gérer des hôpitaux comme des supermarchés et des écoles comme des banques. Réveillez-moi, dites-moi que je rêve! Bientôt, un amoureux en viendra à présenter à sa belle son projet sur Power Point, si ce n’est déjà fait!
    Par bonheur, il reste des Irréductibles…

  2. Natacha S. says:

    @ D.H et Le Lorgnon:
    Cela poisse, dégouline, extra bleu-ciel et rouge coeur palpitaçionn! vous m’avez fait rire. Je n’avais jamais entendu cette improbable chanson molle.
    Je préférerai toujours la «Natacha» de Béranger, j’espère qu’il la chante encore pour moi aux diablotins ou aux anges, ou dans un ailleurs inimaginable où nous le rejoindrons.

    Il y a aussi la « Natacha » d’Annie Cordy, plus martiale certes et tout aussi improbable… 😉

  3. Natacha S. says:

    Non! Pas Annie Cordy! Est-ce le vent d’octobre qui passe à travers la montagne, qui vous rend fous?
    Je vais me mettre à chanter… Dominique, nique, nique, et à hurler: Patriiiick!.

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Patrick Corneau