hmorganlettrine2.1282309692.jpgDans son dernier roman (Time to turn, Stock) François Taillandier compare le portable, le « smartphone » ou la « tablette universelle » de l’homme post-moderne au « galet aménagé » de l’homme préhistorique. Rapprochement qui peut paraître incongru mais qu’il explique lumineusement dans le passage suivant:
« À partir de -2,5 millions d’années, on repère Homo habilis en divers endroits de l’Afrique. Homo habilis, comme son nom l’indique, est le premier capable de concevoir et de réaliser l’outil, sous la forme rudimentaire du galet aménagé.
Et c’est à ce stade, dirait-on, que l’événement se produit. Utiliser une pierre, un bâton ou un os en guise d’outil, le singe sait le faire; mais il ne le perfectionne pas. Il jette l’ustensile aussitôt utilisé. Placé le lendemain devant le même problème à résoudre, il cherchera un autre bâton, une autre pierre, qu’il oubliera aussi après usage. Homo habilis, lui, prend l’habitude de conserver son galet; et dans un deuxième temps il l’améliore, il le frappe pour en enlever des éclats, il le traite différemment selon qu’il souhaite obtenir plutôt un percuteur ou plutôt un tranchoir.
Or, fabriquer un outil, le conserver en vue d’un autre usage, l’améliorer, c’est avoir acquis en même temps la mémoire et la prévision.
Et voilà: c’est fait. Avec sa petite affaire de galet conservé, l’homme a accueilli en lui la mémoire et la prévision, qui sont une seule et même chose, qui sont l’ouverture en nous du temps, qui deviendront la source de nos rêveries, de nos angoisses; qui seront notre délectation et notre torture.
(…) Dans la conservation du galet s’annoncent les vastes bibliothèques, les infinies bases de données de l’Internet.
(…) En cette même année 2009, un spot publicitaire instaure, en un raccourci frappant, une singulière analogie entre cet homme initial et celui d’aujourd’hui. On y voit un homme (celui que Nicolas Rubien ne manquerait pas d’appeler le crétin moderne) marchant le long d’une plage de galets. Il se penche au sol, ramasse une pierre oblongue, ovoïde. Du doigt, il feint de presser des touches sur la surface lisse, puis il porte l’objet à son oreille. Il parle dans sa pierre.
En fait, tout vient de là. Tout réside dans le dialogue profond de l’homme et d’une pierre. »

La prochaine fois que vous tripatouillerez votre portable pensez à cet inconnaissable moment d’un très lointain passé où notre ancêtre nous fit basculer dans la civilisation…

Illustration: clip vidéo Crédit Mutuel

  1. Rodrigue says:

    Oui, à condition de ne pas prendre son galet pour sa tête! Car alors, elle se ratatinerait aussitôt au point de devenir aussi petite et sèche qu’un pois chiche!

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Patrick Corneau