higashi-honganji-temple.1268576738.JPGhmorganlettrine2.1268576358.jpgJ’ai rouvert le remarquable dossier que les Cahiers Renaud Barrault avaient consacré voici 30 ans (!) au Japon. Outre une série d’articles passionnants sur Beckett et le Japon, un récit alerte de Jean-Louis Barrault narrant le choc que fut la découverte du théâtre Nô à l’occasion de leur tournée dans ce pays. A propos de l’apparente immobilité de l’acteur de théâtre Nô, l’acteur-metteur en scène fait cette remarque inattendue:
« Le mouvement dramatique du shite [l’acteur du Nô] est le contraire de la monotonie; c’est que son immobilité apparente est bourrée de nuances. C’est l’intensité du jeu qui crée donc le mouvement, à l’inverse de notre agitation occidentale qui ne se charge pas de tant de pouvoir magnétique. J’ai ressenti cela, souvent, avec la marche. A une époque comme la nôtre où l’avion fait du 800 km à l’heure, j’ai remarqué que c’est la marche qui semblait avoir le mouvement le plus rapide, car c’est le véhicule où le déplacement est le plus rempli. Quand on marche depuis dix minutes, on a la sensation de perdre tant de choses que l’on pourrait voir ou entendre ou plus géné­ralement recevoir que, d’instinct, on ralentit le pas. Il y a trop à voir. En avion, au contraire, une fois l’émotion du décol­lage passée, plus rien ne se présente à notre vue ou à notre ouïe. C’est monotone. » Voilà qui aura du mal à passer en vidéosphère où, comme le dit si bien Régis Debray, « le bougisme est un must, et l’urgentiste, notre héros préféré. »cahierrenaudbarrault.1268576929.jpg

Dans ce même numéro, j’ai noté cette réflexion de Michel Huriet sur le ciel japonais: « … Leur ciel, c’est celui de la pluie et du beau temps. Nous, nous avons annexé le Ciel majuscule et, de son côté, ce Ciel nous a envahis, depuis le ‘ciel, mon mari!’ jusqu’à celui auquel l’un croit et l’autre pas. Rien de ça au Nippon, et quelle tranquillité. »

L’Orient disait Jean Grenier ne peut pas plus entrer en conflit avec l’Occident que l’huile avec l’eau, il est imperméable. Et mieux on le connaît, moins on le comprend – je ne sais plus qui disait: « Une semaine au Japon, on écrit un livre, un mois un article, un an rien* ».

*ou un livre « hors-sol » au charme indéfinissable comme Hoffmann à Tôkyô.

Illustration: photographie de Masahiro Makino

  1. Rodrigue says:

    Il parait que plus on reste au Japon, plus on comprend l’inadaptation radicale de notre outil d’analyse, à savoir notre esprit occidental, à la compréhension des sociétés extrêmes orientales. La difficulté c’est que nous n’en avons aucun de rechange… Je me suis toujours demandé, vu la prolifération et la réussite des artistes japonais dans des disciplines occidentales, comment les orientaux vivaient cela… Question évidemment sans aucune réponse.

    Oui, quand on vit dans la solution (ou la réponse), on ne comprend pas le problème… 😉

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Patrick Corneau