jean_baudrillard_13.1259415282.jpghmorganlettrine2.1259415329.jpgEn 1970 parut en France, aux éditions Denoël, un livre du très réputé sociologue Jean Baudrillard, dont l’impact et le retentissement furent tels, que le titre de ce livre finit par entrer, au fil du temps, dans le langage courant: « La société de consommation ». Ce livre n’a pas pris une ride. Toutes ses analyses et digressions paraissent, quarante ans plus tard, d’une folle actualité et l’écriture n’est marquée par aucun de ces abominables tics qu’ont pris beaucoup de ses contemporains. Comment ne pas être frappé, par exemple, à la (re)lecture de cette géniale page consacrée « l’anti-consommation »: « Il y a aussi tout un syndrome très « moderne » de l’anti-consommation, qui est au fond méta-consommation, et qui joue comme exposant culturel de classe. Les classes moyennes, elles, ont plutôt tendance, héritières en cela des grands dinosaures capitalistes du XIXe siècle et du début du XXe, à consommer ostensiblement. C’est en cela qu’elles sont culturellement naïves. Inutile de dire que toute une stratégie de classe est là derrière: ‘Une des restrictions dont souffre la consommation de l’individu mobile, dit Riesman, est la résistance que les classes élevées opposent aux « arrivistes » par une stratégie de sous-consommation ostentatoire: ceux qui sont déjà arrivés ont ainsi tendance à imposer leurs propres limites à ceux qui voudraient devenir leurs pairs.' »
Ce qui semble valable pour les différentes classes sociales d’un pays l’est aussi entre états. Les fondements ou les travers qu’avait perçu Baudrillard de ce syndrome se sont étendus aux états dits développés qui souhaitent réduire la consommation dans laquelle se jettent les états émergents, et à laquelle aspirent les états en voie de développement (avec, comme paramètres supplémentaires par rapport à 1970, la question écologique et celle du développement durable).
Ce livre se termine sur une sorte de prophétie, d’une lucidité terrible, mais d’un pessimisme déconcertant: « Or, nous savons que l’Objet n’est rien, et que derrière lui se noue le vide des relations humaines, le dessin en creux de l’immense mobilisation de forces productives et sociales qui viennent s’y réifier. Nous attendrons les irruptions brutales et les désagrégations soudaines qui, de façon aussi imprévisible, mais certaine, qu’en mai 1968, viendront briser cette messe blanche. »

En 2009 nous attendons toujours… La messe, étendue à la planète, se célèbre « urbi et orbi ».

  1. Rodrigue says:

    Les « irruptions brutales et les désagrégations soudaines » ne seront strictement rien de plus que 68 en effet, ou pour être plus précis, rien de plus qu’une jacquerie du Moyen Age (explosion de révolte alimentaire matée dans le sang) si elles ne véhiculent pas un certain nombre d’idées, de projets, et d’alternative qui pourront être mis en oeuvre.

  2. En 2010, c’est encore pire !

    @ Rodrigue : « un certain nombre d’idées, de projets et d’alternative » ont jailli en mai 68. Ce n’est pas la droite qui risque de les mettre en oeuvre dès dimanche prochain, à 20 heures !

  3. Gisèle says:

    Les irruptions brutales seront d’immenses vomissements d’une humanité saturée et les désagrégations soudaines les infarctus du myocarde d’une espèce dépourvue du sens de la régulation. Et si les classes supérieures tentent toujours – plus que jamais – de juguler les autres, elles ne seront pas moins de la fête qui nous attend tous. Idées ou pas, projets ou pas – et Dieu sait si des idées il en manque – nous serons contraints d’apprendre à survivre à notre bêtise.

    Oui, oui! 🙂

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Patrick Corneau