hmorganlettrine2.1261174878.jpgenclavementw-2.1261174857.jpgLe soleil est au plus bas de sa course, pris dans les terribles filets du solstice d’hiver. Le ciel est noir et glacé. La neige tombe et recouvre la terre. Les arbres agitent, sous le vent, leurs bras de sorciers secs et noueux. Ils font peur. Comme les loups qui, selon la presse, se sont promenés dans des villages de la Haute-Saône. On a même espéré qu’ils mangeraient des enfants, qu’ils feraient toutes sortes de choses, bref que ce serait très intéressant. Car il n’est rien de plus passionnant que le loup. Il fournit l’homme de fables et de descentes de lit. Que resterait-il de La Fontaine sans cet animal plein de rage? Qui aurait mangé l’agneau? Qui ferait peur aux bergères? Malheureusement, selon la science, il paraît que ce n’était pas vrai; que le loup ne s’était pas promené dans la Haute-Saône; que les savants ont déclaré qu’il n’y a plus de loup; du moins en France, plus de loup français; tout ce qui est français disparaît petit à petit. Même le loup. Il n’y aurait plus de loup. On est bien ennuyé. Il n’y en a plus que dans les dictionnaires où pour dire que la nature humaine est déchue, mauvaise, prédatrice, on nous assure que « l’homme est un loup pour l’homme ». Pauvre bête que l’on calomnie! Le loup n’est pas le prédateur d’autres loups: lupus lupo lupus est une véritable diffamation. Comme l’éléphant d’Alexandre Vialatte, comme son mythique Monsieur Panado, le loup est irréfutable. Non seulement le loup est irréfutable, mais il est indispensable. L’homme et le loup ont des destins qui se croisent. Canis lupus et nous-mêmes partageons trop de légendes et d’aventures pour que la cohabitation cesse. Qui voudrait la mort de son frère?
Demain, j’irai marcher dans la forêt de Brocéliande, où j’espère bientôt revoir le loup, cet animal admirable, heureusement revenu en France depuis l’Italie, et par ses propres moyens. Mon frère aux yeux jaunes me regardera comme un frère. Nous attendrons la nuit, la pleine lune, et nous hurlerons ensemble un hymne à la beauté du monde.
Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand!

Illustration: aquarelle de Gaston Vuillier (1845-1915)

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Patrick Corneau